L’Ires vient de publier un passionnant travail qui jette une lumière crue sur l’une des zones d’ombre de nos comptes publics : à combien se monte le total des aides, subventions et autres niches fiscales reçues par les entreprises ? Après moult mises en garde méthodologiques, la conclusion tombe : on peut l’estimer, en 2019, à l’équivalent de 8,4 % du PIB, un montant énorme.
Les chercheurs de l’université de Lille ne peuvent fournir qu’une estimation car les plus de 2 000 mécanismes de soutien dont bénéficient les entreprises françaises sont distribuées dans la plus grande opacité.
Il est dès lors difficile de chiffrer leur montant total et encore plus de connaître la répartition du qui touche combien, un sujet auquel le rapport ne se frotte pas. Comme le reconnaissent d’emblée les auteurs, « il ne peut y avoir une parfaite objectivité dans la réalisation d’un chiffrage » tant les données sont disparates.
Les aides comptabilisées correspondent aux transferts de richesse vers les entreprises qui ne suscitent aucune contrepartie. Ainsi, la commande publique n’est pas comptabilisée car la puissance publique s’enrichit autant qu’elle dépense. Les prises de participation de l’Etat ou les garanties publiques ne sont pas prises en compte non plus.
Les données additionnées correspondent aux dépenses budgétaires en faveur des entreprises, aux baisses de cotisations sociales octroyées et aux dérogations fiscales, les fameuses « niches fiscales » qu’elles soient actives ou bien « déclassées ». Il s’agit dans ce dernier cas de certaines niches qui finissent par être intégrées dans le droit commun et disparaissent de la liste mais dont les entreprises bénéficient toujours.
Une explosion des montants
Une fois ce long travail de compilation effectué, le rapport livre trois informations clés. D’abord, le montant exorbitant des aides reçues par les entreprises, 205 milliards d’euros, l’équivalent de près de 8,5 % du PIB, ou encore de 41 % du budget de l’Etat !
Les cadeaux fiscaux croissants aux entreprises forcent à taxer davantage les particuliers
L’essentiel provient des niches fiscales (109 milliards dont 48 milliards de niches déclassées), 64 milliards d’allègements de cotisations sociales et 32 milliards de dépenses budgétaires. Si l’on veut être prudent sur le poids des niches déclassées, on finit tout de même avec un total des aides à 6,5 % du PIB. Et la dynamique de long terme reste la même.
En effet, l’analyse historique met en lumière la progression ininterrompue de ces transferts de richesse publique aux entreprises, qui n’étaient que de 2,6 % des richesses produites en 1979. Les aides ont commencé à exploser à partir du début des années 2000 : la période la plus forte de l’hyperlibéralisme, entre 2000 et 2008, correspond à celle où les entreprises ont de plus en plus pompé la richesse publique en leur faveur.
Des politiques contre productives
Le document revient ensuite sur deux politiques spécifiques d’aide aux entreprises. La première concerne les baisses de cotisations salariales et leurs effets censés être positifs sur l’emploi. Une bonne partie du chapitre est consacré à montrer que les fondements théoriques et empiriques d’un tel lien sont inexistants.
Le seul résultat qui semble en revanche avéré consiste en un effet de substitution : « la baisse relative du coût du travail encourage les entreprises à recourir à du travail (relativement peu cher) plutôt qu’à du capital ». En clair, cela désincite les entreprises à investir. Et voici, paradoxalement, l’une des causes du manque de compétitivité des entreprises françaises qui perdent en innovation et productivité de long terme ce qu’elles gagnent en baisse immédiate de coût du travail.
La recherche universitaire montre que la meilleure incitation à l’innovation privée passe par la commande publique, avec un effet bien plus fort que les subventions et les incitations fiscales
L’innovation est d’ailleurs le second focus de l’étude. Alors que les dispositifs français de soutien public à la recherche n’ont cessé de progresser (avec notamment le produit phare du Crédit impôt recherche), la recherche française progresse peu.
Pire : « il apparaît que les secteurs publics sud-coréen, japonais, états-unien, chinois et allemand dépensent chacun moins que le secteur public français (en % des dépenses totales) et présentent pourtant des niveaux globaux de dépenses de R&D (en % du PIB) nettement supérieurs à la France ».
Comment cela s’explique-t-il ? La question de fond est la suivante : à quoi servent les aides à l’innovation dans un pays qui se désindustrialise ? Déverser de plus en plus d’aides à l’innovation dans un écosystème qui se réduit comme peau de chagrin n’est pas efficace. Un simple calcul permet de le montrer :
« Si la France avait la structure industrielle de l’Allemagne tout en gardant l’intensité de recherche des entreprises situées en France, l’effort de recherche du secteur privé aurait été de 2,69 % du PIB français. En d’autres termes, le secteur privé français dépenserait plus que l’Allemagne en R&D de près d’un point de PIB. »
En plus d’être inefficaces, ce genre d’aides crée une dépendance financière des entreprises : les supprimer aurait des conséquences négatives en termes d’emplois. En fait, la recherche universitaire montre que la meilleure incitation à l’innovation privée passe par la commande publique, avec un effet bien plus fort que les subventions et les incitations fiscales.
Le rapport retrouve les résultats du dernier ouvrage de la chercheuse Mariana Mazzucato qui constate, à partir de la mission Apollo, combien la commande publique, y compris pour des investissements risqués, s’avère très largement bénéfique pour l’innovation, même quand les programmes finissent par échouer à l’image du Concorde.
Conclusion de ce travail de l’Ires, les aides publiques aux entreprises coûtent une fortune au budget et nourrissent la dette publique pour une efficacité qui reste à démontrer. On ne saurait trop conseiller la lecture de ce rapport aux représentants du patronat qui se plaignent régulièrement du niveau des dépenses publiques et de la dette. Il contient une piste sérieuse d’économies !
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/aides-aux-entreprises-coutent-une-fortune/00104729
Aussi convient-il de commencer par préciser de quoi l’on parle.