CHÔMAGE : Pôle emploi se réorganise face à la crise
Afflux d’inscriptions, paiement des allocations chômage, mesures d’urgence… Pôle emploi fait preuve de souplesse et adopte des règles transitoires. Même si le premier volet de la réforme de l’assurance chômage continue de pénaliser les demandeurs d’emploi.
« On va inscrire à tour de bras. On s’attend à un afflux de demandeurs d’emploi, pire qu’après la crise de 2008. » Carine1 est directrice d’une agence Pôle emploi dans le sud-est de la France.
Elle est pessimiste pour l’avenir. A court, comme à long terme. Déjà, elle observe les premières tendances qui se dessinent dans son agence. « Les inscriptions entre mi-mars et fin mars ont augmenté de 10 % par rapport à la même quinzaine, en 2019. »
Afflux de chômeurs
Sur l’ensemble de la France, il est trop tôt pour obtenir des chiffres précis. La ministre du Travail évoque tout de même 20 000 inscriptions supplémentaires sur la dernière semaine de mars, comparée à la même période en 2019. Mais selon Muriel Pénicaud, le chômage partiel limite la casse. Empêche les licenciements massifs. Et un flot incontrôlable de nouveaux chômeurs.
Pôle emploi livre un discours similaire : pour le moment, pas d’afflux d’inscriptions grâce aux mesures de chômage partiel. « Mais tout le monde ne bénéficie pas du dispositif ! » tempête Carine. « Parmi les nouveaux inscrits, on a des intérimaires qui n’ont plus de mission. Ou des fins de CDD, non renouvelés », détaille la directrice d’agence. D’ailleurs, au sein même de Pôle emploi, des contrats à durée déterminée n’ont pas été renouvelés. En dépit des demandes des organisations syndicales.
Chaque demandeur d’emploi nouvellement inscrit doit bénéficier d’un premier entretien, baptisé ESI : entretien de situation. D’ordinaire, l’ESI se fait en agence. En face à face. Mais les établissements sont fermés au public depuis le 23 mars. Au début de la crise sanitaire, Pôle emploi avait envisagé de reporter ces entretiens après le confinement mais a rapidement changé d’avis. « On allait se retrouver complètement débordés », confie Carine. Désormais, les échanges se font donc par téléphone. « Ça change tout, ça dégrade le lien », déplore Daniel Mémain, conseiller Pôle emploi à Pamiers, dans l’Ariège et délégué régional de Solidaires Sud emploi. « La rencontre physique est importante. Au téléphone, le langage corporel disparaît. Si la personne ne vous comprend pas, vous ne pouvez pas le percevoir. Et puis, les gens sont moins à l’aise. Posent peu de questions. »
Nouvelles règles et dérogations en cascade
Autre problématique : la circulation des informations, en interne. « Nous recevons des quantités astronomiques de mails », commente Daniel Mémain. Outre les communications diverses de la direction, les agents sont abreuvés de nouvelles règles et dispositions. Ordonnances, décrets et autres mesures d’urgence tombent en cascade. Et certaines consignes sont brouillées. Voire, passent à l’as.
Plusieurs agents confient ainsi être passés à côté d’informations, parfois essentielles. « Je n’avais pas vu, par exemple, que l’on pouvait indemniser les gens qui se retrouvent coincés entre deux contrats », explique un conseiller, qui veut rester anonyme. Il fait référence aux personnes qui ont démissionné pour démarrer un nouveau travail mais dont l’embauche effective n’a pas eu lieu, à cause de la crise. Un mail a été envoyé, dès le 2 avril, aux agents. Mais la ministre du Travail n’a communiqué sur le sujet que sept jours plus tard, sur RMC et BFMTV. Concédant « un trou dans la raquette », Muriel Pénicaud a promis l’ouverture temporaire de droits au chômage pour ces démissionnaires. Les conditions seront précisées dans un décret, attendu cette semaine.
D’autres mesures d’urgence ont été annoncées pour les travailleurs précaires et les chômeurs. Les intérimaires et saisonniers peuvent bénéficier du chômage partiel, à condition que leur contrat n’ait pas été rompu. Les chômeurs arrivés en fin de droit en mars voient leurs allocations prolongées jusqu’à la fin du confinement. Même chose pour les intermittents du spectacle. Pour ces derniers, la période de confinement sera par ailleurs « neutralisée » : elle ne comptera pas dans le calcul de leurs droits.
La réforme de l’assurance chômage aggrave les situations
Mais que dire de tous ceux qui ne peuvent pas ouvrir de droits ? Le second volet de la réforme d’assurance chômage a été reporté à septembre. Mais la première phase, entrée en vigueur le 1er novembre 2019, est maintenue. La ministre du Travail n’entend pas l’abroger. Pourtant, cette réforme aggrave les situations. Elle durcit les conditions d’accès aux allocations chômage. Il faut désormais avoir travaillé six mois, au lieu de quatre, pour ouvrir des droits.
Mais comment faire quand une partie du pays est à l’arrêt ? « Beaucoup de gens sont d’ores et déjà rattrapés par ces nouvelles règles », explique Denis Gravouil, de la CGT. Il cite l’exemple des intérimaires privés de chômage partiel. « Ils n’ont pas travaillé suffisamment pour bénéficier d’allocations. Mais ils n’ont plus de travail pour recharger leur compteur ! »
Dans une étude d’impact publiée en novembre, l’Unédic (le gestionnaire de l’assurance chômage) chiffrait à 200 000 le nombre de personnes concernées, dès la première année, par ce volet de la réforme. Un impact considérable. Qui ne prenait pas en compte la crise du Covid-19. Ceux qui n’ont aucun droit ne s’inscriront pas forcément à Pôle emploi. Ils seront invisibles. D’autres feront le choix de s’inscrire, sans être indemnisés. Ils sont d’ailleurs déjà nombreux dans ce cas. Aujourd’hui, seul un demandeur d’emploi sur deux peut prétendre à une allocation chômage.
Inscrire et indemniser : la priorité
Pour les nouveaux inscrits, Pôle emploi a dû revoir, dans l’urgence, son mode de fonctionnement. Des mesures transitoires ont été adoptées. Et continuent de l’être, au fil des jours. L’opérateur fait preuve de davantage de souplesse. En particulier pour les personnes qui n’ont pas – ou peu – accès au numérique. Et qui d’ordinaire se rendent en agence pour se faire aider. Et utiliser du matériel informatique.
Celles- ci peuvent être accompagnées pas à pas par téléphone. De simples photos de justificatifs sont acceptées, dans le cadre d’une inscription. Les documents peuvent aussi être déposés dans la boîte aux lettres des agences, relevée plusieurs fois par semaine. Enfin, concernant les vérifications d’identité, la consigne est claire : il faut inscrire et indemniser en priorité. Les contrôles se feront plus tard et les « correspondants fraude » de Pôle emploi sont « en veille » sur ces questions, comme indiqué sur des documents internes que nous avons pu consulter.
Limiter l’impact de la fracture numérique
Pôle emploi a également dû s’organiser pour mener à bien l’actualisation des demandeurs d’emploi. Chaque fin de mois, les chômeurs doivent déclarer leur situation et préciser s’ils recherchent toujours un emploi. Cette procédure déclenche le paiement des allocations chômage. La phase d’actualisation a démarré le samedi 28 mars et doit d’achever le 15 avril. Pôle emploi dit avoir déployé de gros moyens pour renforcer, dès le lundi 30 mars, l’accueil téléphonique au 3949 (le numéro unique de Pôle emploi).
« 25 000 conseillers en télétravail sont mobilisés », précise l’opérateur. L’organisme a également pris les devants pour limiter l’impact de la fracture numérique. Si la majorité des demandeurs d’emploi utilise Internet ou le téléphone pour s’actualiser, près de 200 000 chômeurs se rendent habituellement en agence pour accomplir cette procédure. « Pour ne pas les pénaliser, Pôle emploi a fait une comparaison de liste », explique Daniel Mémain. « On a récupéré les coordonnées de toutes les personnes qui se sont actualisées en agence le mois précédent. On les a contactées, une par une. »
Une initiative qui s’est révélée essentielle. « La plupart de ces demandeurs d’emploi sont vraiment en marge, poursuit-il. Vous n’imaginez même pas à quel point. J’ai accompagné 18 personnes qui ne savaient absolument pas comment s’y prendre. Qui n’ont pas Internet, pas de smartphone. Ce qui me préoccupe, c’est que je n’arrive toujours pas à en joindre deux autres. J’insiste. Je laisse des messages. »
La crise qui va suivre inquiète les agents
A ce jour, sur l’ensemble du territoire, 80 % des demandeurs d’emploi ont mis à jour leur situation. Pôle emploi promet de faire des rattrapages, si nécessaire, pour les retardataires. Par ailleurs, toutes les procédures de radiation et de trop-perçus sont suspendues, jusqu’à nouvel ordre. Les contrôles de recherche d’emploi le sont également.
« Pour le moment, Pôle emploi est capable de gérer la crise et d’absorber sans encombre toutes les tâches », commente Carine, la directrice d’agence. « La priorité, c’est le versement des allocations et a priori, tout se passe bien. Mais il y a aussi beaucoup de missions qui sont suspendues. Les entrées en formation, les ateliers, les bilans de compétences… La sortie du confinement va être sportive. Il faudra tout rattraper ! » Ce qui inquiète le plus la manager de Pôle emploi, c’est bien la crise qui va suivre. « Il y aura des défaillances d’entreprises et des licenciements, c’est évident. Et pour nous, une vague de nouveaux inscrits. »
- 1.Le prénom a été modifié à sa demande.