Un regard précieux sur l’échec du « conseiller unique » lors de la création de Pôle emploi
L’article de Jean-Marie Pillon, de l’Irisso/Université Paris Dauphine et du Centre d’études de l’emploi et du travail, titré « Conseiller à Pôle emploi. De l’échec du métier unique aux interstices de la polyvalence », paru dans la Revue Sociétés contemporaines 2016/4 (N° 104) nous donne l’opportunité de revenir sur une erreur fondatrice de la création de Pôle emploi, associant à la fusion des institutions ANPE et ASSEDIC, la fusion des métiers pour instituer un groupe de « conseillers uniques », experts du placement comme de l’indemnisation
Nous retrouvons dans cet article, formalisées, organisées et complétées, un certain nombre d’analyses que nous avons pu formaliser au fil de l’observation au quotidien des avatars de la fusion issue d’une décision politique de Nicolas Sarkozy annoncée durant sa campagne présidentielle de 2007 et concrétisée rapidement après son élection.
La fusion veut réunir les agents issus des deux organismes dans un même corps de 35 000 accompagnateurs, les « conseillers uniques » , lesquels ont pour mission d’accueillir et inscrire les demandeurs d’emploi, de calculer le montant de leurs allocations et d’enclencher leur mise en paiement, puis de les accompagner dans leur recherche d’emploi, tout en vérifiant l’effectivité des démarches de recherche d’emploi et contrôlant leur implication, ce que l’article résume ainsi
” Schématiquement, il s’agit d’une part de multiplier le nombre de conseillers disponibles par 1,5 en transformant les agents Assedic en conseillers à l’emploi. Il s’agit, d’autre part, de munir l’ensemble de ces référents uniques de la carotte et du bâton, pour recevoir et encadrer un maximum de demandeurs d’emploi.”
Pour ce faire est mise en place une action de formation totalement insuffisante, niant complètement ce qui constituait chacun des métiers, chacune des identités professionnelles, ce qui est ainsi résumé dans l’article ”Avant 2008, liquidateurs et conseillers recevaient une formation de plus de six mois en alternance, avant de bénéficier d’un tutorat de plusieurs années … Ces dispositions contribuaient à un apprentissage pratique du métier ainsi qu’à la cohérence des deux groupes. Lors de la fusion, les formations ne durent que trois jours pour les conseillers issus de l’ANPE et sept pour les liquidateurs Assedic, sans que soient prévues de modalités de transmission des savoirs par leurs nouveaux collègues.”
Cette analyse rejoint ce que nous écrivions en décembre 2008 dans Quand c’est difficile à deux, ajoutons un troisième ”Les cultures professionnelles des agents de l’ANPE et des salariés des ASSEDIC sont très différentes, et ce ne sont pas quelques jours de formation qui permettront à un agent de l’ANPE de maîtriser la complexité des droits à l’indemnisation. Et les quelques jours de formation prévus sont encore plus insuffisants pour permettre à un agent de recouvrement de maîtriser le métier de l’accompagnement des demandeurs d’emploi.’
L’article relève que la crise économique, déclenchée en octobre 2008, modifie radicalement les données du marché du travail, obligeant à faire face à un afflux de demandeurs d’emploi dans les agences, amenant des décisions d’évolutions dans l’organisation de l’institution prises dans l’urgence, avec en particulier l’arrêt des formations sans que la question de la révision de la conception fondatrice erronée ne puisse être traitée, tant le politique veut pouvoir contre toute évidence afficher une réussite de la fusion des institutions et des métiers .
Nous écrivions en février 2009 Il faut revoir le rythme de la fusion sans pouvoir faire autre chose que de constater qu’au lieu de ralentir, l’impulsion politique a été au contraire à l’accélération d’un mouvement décidé dans un autre contexte, celui de l’amélioration de la situation de l’emploi en 2007.
En effet, va continuer à être affirmé, au mépris de toute réalité, que le schéma initial était pertinent, qu’il a été complètement mis en œuvre, et a produit l’ensemble des résultats positifs attendus de la fusion. Nous relevions en septembre 2009 dans Poster polynésien et orchidée que le président de la République affirmait que la fonction de conseiller unique était effective “D’abord un changement de métier. Oui, parce que celui qui indemnisait a dû apprendre à placer ; celui qui plaçait a dû apprendre à indemniser. Pas simple.”
L’article formalise bien les différences entre les fondements des deux métiers ” L’opposition entre l’indemnisation et le placement repose sur deux façons différentes d’appréhender les cas (le passé déclaré contre les opportunités professionnelles futures), deux savoirs différents (la réglementation de l’assurance chômage contre les mécanismes du marché du travail) et le but des opérations effectuées (délivrer un revenu de remplacement contre retrouver un emploi). Recoupant ces différences matérielles et symboliques, une division morale du travail s’observe au cœur des collectifs. Les agents issus de l’ANPE font preuve d’un mépris latent mais bien réel, pour leurs collègues issus des Assedic dont ils jugent les pratiques limitées d’un point de vue intellectuel et politique.”
Le vrai apport de l’article, pour quelqu’un qui a suivi de près, mais de l’extérieur, cette période est l’explication de la raison pour laquelle, malgré les différences de culture professionnelle, il s’est trouvé un nombre significatif d’agents issus de l’ANPE acceptant de se former à l’indemnisation pour devenir « double compétent », lorsque, en ayant de fait renoncé à la fusion des métiers et au conseiller unique, la direction, poursuivant sa navigation à courte vue sous la pression du politique, engage un programme de formation dont “ L’enjeu n’est plus de fournir un conseiller unique à tous les chômeurs mais plutôt d’être en mesure, pour mieux supporter les périodes de surcharge d’activité, de disposer de personnels polyvalents dotés d’une double compétence : conseil en recherche d’emploi et calcul des droits au chômage.”
Les volontaires s’engagent dans cette formation en partie ” parce que les voies traditionnelles de promotion ont été bouchées par la fusion”, celle-ci ayant produit un fort sur encadrement qui ne se résorbera que dans la durée, malgré un généreux usage des ruptures conventionnelles “L’ouverture des formations à la double compétence est en quelque sorte venue combler les attentes de ces agents qui espéraient de l’avancement sans voir venir d’opportunité“
Cet investissement n’aura que des résultats mitigés dans l’organisation du travail, l’accroissement des compétences induisant une tendance à être utilisés comme « bouche trou » même si après une phase transitoire “les conseillers qui disposent de la double casquette sont parvenus à s’imposer comme des sous-chefs au sein de leur collectif de travail “
Et l’institution qui les a incité à acquérir une double compétence ne la reconnaitront pas dans la classification. Nous écrivions en décembre 2014 dans Double peine à Pôle emploi pour ceux qui ont voulu rester agents publics et ceux qui ont cru à la double compétence “Ceux qui ont cru, se sont formés pour acquérir la compétence qu’ils ne maîtrisaient pas, qui sont environ 3 000, ont l’impression d’être eux aussi victimes d’une double peine. En effet leur double compétence en fait assez facilement ceux qui sont sollicité au quotidien dans des agences pour renforcer une équipe, remplacer un absent …, alors que la classification ignore cette double compétence qu’ils ont acquise et qui est pourtant utilisée au quotidien dans le fonctionnement de l’institution”
Il est certain que cette évolution aurait été mieux conduite si on avait été plus écouté les sociologues des organisations et moins les couteux consultants tentant d’imposer des règles de management parfaitement inadaptées à ce type d’organisation
source : http://alternatives-economiques.fr/blogs/abherve/2017/02/02/un-regard-precieux-sur-lechec-du-%C2%AB-conseiller-unique-%C2%BB-lors-de-la-creation-de-pole-emploi/