Retraites : le coup de forban que prépare Emmanuel Macron

En 2018, Emmanuel Macron se faisait prophète d’une réforme des retraites « progressiste », plus égalitaire, à base de points, avec les « régimes spéciaux » en boucs émissaires. Deux années plus tard, la justice laissait la place à la nécessité de rétablir d’urgence l’équilibre des régimes. Hélas, les arguments tombaient les uns après les autres : le système par points se révélait une potentielle catastrophe pour les agents publics, et au premier chef les enseignants. Bonjour, la justice !

Et l’urgence financière ne résistait pas aux rapports du Conseil d’orientation des retraites. Le système français des pensions n’est ni si inégalitaire (mais quand même un peu), ni si dispendieux (mais un peu quand même) qu’on l’affirme dans les couloirs du pouvoir. Qu’importe, puisque cette caricature est relayée par des médias toujours prêts à gober les approximations pour peu que cela compose une histoire. On appelle ça le storytelling.

Pour reprendre ce dossier, il fallait donc commencer par lui trouver d’autres fondements. Cette fois-ci, selon ce qu’Emmanuel Macron a expliqué devant une centaine de journalistes de l’Association de la presse présidentielle, sous la condition impérieuse du « off »1, la réforme des retraites n’aurait plus pour but de changer la société, ni d’assurer la pérennité d’un des piliers de l’Etat social.

Non, la réforme serait indispensable, pour financer… les autres réformes à venir, à savoir : la triple transition : de l’éducation, de la santé, du climat. Une seule solution existerait pour dégager une capacité de financement de la nation : travailler plus, et plus longtemps. D’où les réformes de l’assurance chômage et des retraites.

La première augmentant le nombre de personnes dans l’emploi, la seconde allongeant la présence de celles-ci sur les postes de travail. Et de boucler la démonstration : une réforme des retraites crée de la richesse et de la ressource fiscale. Un aphorisme économique que l’on trouvait en filigrane dans le programme de stabilité présenté par le gouvernement à Bruxelles cet été. Si ce genre d’arguments a le don de réjouir la Commission européenne, en revanche on doute qu’il persuade les sexagénaires de demeurer au boulot pour le plaisir de générer plus d’impôts !

Un crime presque parfait

En faisant de la réforme des retraites la clé de toute action publique lors de son second quinquennat, le président adopte d’abord une posture politique, une sorte de va-tout, dans lequel il jetterait ce qui lui reste de crédit pour conduire et réformer le pays selon la promesse centrale de 2017, renouvelée en 2022 : rogner l’Etat social pour ne jamais toucher aux avantages des plus riches. Sans cette réforme, donc, il deviendrait impossible de financer ni la transition énergétique, ni le renouveau de l’éducation nationale, ni le redressement du système de santé.

 

Les opposants à la réforme-qui-sauvera-la-France seront désignés comme aveugles au réchauffement climatique, irresponsables vis-à-vis du sort de nos enfants, insensibles à la souffrance des malades

 

En plaçant la barre si haut, le chef de l’Etat s’interdit l’échec, qui signifierait pour lui la perte définitive de toute légitimité. La réception des journalistes de l’Association de la presse présidentielle avait donc pour objet d’initier un nouveau récitdénonçant par avance les ennemis du combat à venir : les opposants à la réforme-qui-sauvera-la-France seront désignés comme aveugles au réchauffement climatique, irresponsables vis-à-vis du sort de nos enfants, insensibles à la souffrance des malades…

En écho au président, Elisabeth Borne a défini samedi 17 septembre le camp du mal devant les membres de Renaissance (ex LaRem, il va falloir s’y faire) : « Nous aurons face à nous des oppositions qui, pour beaucoup, refuseront le dialogue. Certains appellent au chaos dans la rue et au Parlement. Ils ont en commun l’immobilisme, le blocage… » Le décor d’un affrontement social et politique majeur est planté. Reste à en écrire le scénario.

C’est là que la procédure parlementaire intervient. Un grand projet de loi sur les retraites au terme de plusieurs mois de concertations pourrait engager le pouvoir macronien, déjà bien raboté par les élections législatives, dans un profond enlisement face à une forte mobilisation sociale. Et puis, à écouter la Première ministre, à quoi bon user sa salive pour des opposants qui ne voudront rien entendre ?

Mais un raccourci s’offre à l’exécutif : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Son examen par le Parlement doit impérativement être achevé le 31 décembre. Le gouvernement pourrait à tout moment y introduire des amendements comme un éventuel report de l’âge de départ, et/ou l’allongement de la durée de cotisation, sans même demander l’avis du Conseil d’Etat, ni fournir une étude d’impact. Cette procédure ultrarapide court-circuiterait les mobilisations syndicales et limiterait les tentatives d’obstruction de l’opposition.

Si on ajoute à cette méthode (légale) de forban l’usage de l’article 49.3 qui dispense de trouver une majorité à l’Assemblée nationale, les conditions du départ de millions de salariés pourraient être transformées après seulement quelques semaines de débats. Le crime contre la démocratie serait presque parfait ! Reste à l’exécuter, ce qui est une autre histoire.

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/herve-nathan/retraites-coup-de-forban-prepare-emmanuel-macron/00104503

 



14/10/2022
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