PROPOSITION DE LOI : réquisition des demandeurs d'emploi. On marche sur la tête !
Proposition de loi nº 345 organisant un pouvoir de réquisition des demandeurs d’emploi par le préfet en cas de pénurie de personnels dans les services publics
N° 345
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2022.
PROPOSITION DE LOI
organisant un pouvoir de réquisition des demandeurs d’emploi
par le préfet en cas de pénurie de personnels dans les services publics,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),
présentée par
M. Jean‑Louis THIÉRIOT,
député.
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Mesdames, Messieurs,
Cette rentrée 2022 est marquée plus encore que les précédentes par des dysfonctionnements dans les services publics essentiels que sont l’Éducation nationale et les transports en commun. Il ne s’agit pas de difficultés temporaires liées à l’usage du droit de grève, mais d’un problème structurel causé par une pénurie chronique de personnels. Un mois après la rentrée, il n’y a toujours pas « un professeur devant chaque classe » et près d’un quart des conducteurs de bus et cars manque encore à l’appel.
Les raisons de cette pénurie sont multiples et doivent être traitées sur le long terme : revalorisation des métiers et salaires, lutte contre le phénomène de l’abandon de poste, contrôle renforcé de Pôle emploi sur l’usage de fausses promesses d’embauche et de faux arrêts maladie… Tant d’actions nécessaires qui même si elles étaient mises en œuvre dès maintenant ne pourraient produire leurs effets avant plusieurs mois. C’est un délai intenable pour les usagers du service public tant ses dysfonctionnements dégradent leur quotidien.
En particulier, les retards et annulations dans le service du ramassage scolaire générés par la pénurie de chauffeurs ont des conséquences désastreuses : élèves en retard en classe, parents pris au dépourvu pour s’organiser, enseignants contraints de prendre en charge les élèves à la sortie des cours, sans parler du coût des trajets pour les familles et de l’impact environnemental du recours forcé au véhicule individuel.
Aucun des acteurs concernés ne paraît être en mesure d’agir pour remédier en urgence à cette pénurie : État, collectivités, délégataires du service public déclinent leur responsabilité. Les entreprises privées ne peuvent remplir leurs obligations contractuelles car personne ne se présente à l’embauche, la menace de sanctions pécuniaires des autorités organisatrices de la mobilité ne peut modifier cet état de fait et l’État invoque la compétence exclusive de ces dernières pour justifier son inaction…
Les pouvoirs publics semblent totalement dépourvus d’outils juridiques. Il existe pourtant un mode d’action propre à la puissance publique qui permettrait de résoudre la difficulté : la mesure de réquisition. Cependant, les dispositions existantes ne répondent pas aux problématiques contemporaines. Le code de la défense permet certes des réquisitions, y compris des réquisitions civiles pour les besoins généraux de la Nation, mais cela est naturellement réservé pour les temps de guerre. Le code des collectivités territoriales permet au préfet de prendre des réquisitions au titre de ses pouvoirs de police mais la mise en œuvre de l’article L. 2215‑1 4° nécessite à la fois l’urgence et l’existence d’une atteinte constatée ou prévisible à l’ordre public. Dans les faits, le préfet se heurte à une difficulté probatoire et, dans l’incertitude de l’appréciation de la situation par le juge administratif, s’abstient de faire usage de ce pouvoir.
Il appartient dès lors au législateur de créer l’outil juridique adéquat spécifique aux dysfonctionnements du service public liés à une pénurie de personnels. Partant du constat que certains demandeurs d’emploi percevant l’allocation‑chômage disposent des qualifications nécessaires aux missions de service public touchées par les pénuries de personnels mais refusent les postes, en excipant parfois même de fausses promesses d’embauche pour éviter la radiation, la présente proposition de loi propose un dispositif innovant : la création d’un pouvoir de réquisition du préfet non rattaché à des motifs de police mais spécifique aux dysfonctionnements du service public causés par une pénurie de personnels qui vise uniquement les demandeurs d’emploi.
Se faisant, le dispositif proposé répond en outre aux objectifs du Gouvernement en matière de plein‑emploi, de lutte contre la fraude et de rétablissement des comptes publics.
L’article 1er de la présente proposition de loi dispose donc que lorsque la continuité du service public n’est plus assurée en raison d’un nombre insuffisant de personnels dédiés à son exécution, le représentant de l’État puisse requérir toute personne nécessaire au bon fonctionnement de ce service qui, satisfaisant aux conditions de l’article L. 5422‑1 du code du travail, perçoit l’allocation d’assurance chômage dès lors qu’elle dispose des aptitudes, qualifications et diplômes suffisants et appropriés à l’exercice de la mission d’intérêt général objet de la réquisition (I). L’article énonce également les modalités de rétribution de la mesure (II). Il précise que l’allocation d’assurance chômage est évidemment suspendue pendant la durée de la mesure (III). Il énonce enfin les sanctions encourues en cas d’inexécution volontaire de la mesure (IV).
I. – Lorsque la continuité du service public n’est plus assurée en raison d’un nombre insuffisant de personnels dédiés à son exécution, le représentant de l’État dans le département ou dans la région si le service public en cause est organisé à l’échelon régional peut, par arrêté motivé, requérir toute personne nécessaire au bon fonctionnement de ce service qui, satisfaisant aux conditions de l’article L. 5422‑1 du code du travail, perçoit l’allocation d’assurance chômage, dès lors qu’elle dispose des aptitudes, qualifications et diplômes suffisants et appropriés à l’exercice de la mission d’intérêt général objet de la réquisition.
L’arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application.
Le préfet peut faire exécuter d’office les mesures prescrites par l’arrêté qu’il a édicté.
II. – La rétribution est constituée d’une indemnité équivalente aux salaires habituellement pratiqués pour la rémunération de l’emploi en cause compte tenu de l’expérience de la personne requise et, le cas échéant, d’une indemnité de compensation des frais matériels, directs et certains, résultant de l’arrêté de réquisition tels que les frais de transport et de logement.
Dans les conditions prévues par le code de justice administrative, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue peut, dans les quarante‑huit heures de la publication ou de la notification de l’arrêté, à la demande de la personne requise, accorder une provision représentant tout ou partie de l’indemnité précitée, lorsque l’existence et la réalité de cette indemnité ne sont pas sérieusement contestables.
La rétribution est versée soit par l’autorité compétente pour l’organisation du service public si celui‑ci est directement géré par elle, soit par le délégataire avec lequel elle est contractuellement liée.
III. – L’ordre de réquisition suspend le droit à l’allocation de l’assurance chômage de la personne requise le temps de la durée de la réquisition.
IV. – En cas d’inexécution volontaire par la personne requise des obligations qui lui incombent en application de l’arrêté édicté par le préfet, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue peut, sur demande de l’autorité requérante, prononcer une astreinte dans les conditions prévues aux articles L. 911‑6 à L. 911‑8 du code de justice administrative.
Le refus d’exécuter les mesures prescrites par l’autorité requérante constitue un délit qui est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.
La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.