ORDONNANCES : De quoi le CDI est-il la norme ?
« Le CDI est la norme et le restera », déclarait la ministre du Travail, le 7 juin dans le quotidien Les Echos. Mais que veut dire Muriel Pénicaud ? Que devient cette norme lorsque le projet de loi d’habilitation à réformer le code du travail par ordonnances, présenté hier 28 juin en conseil de ministres, prévoit de « favoriser et sécuriser par accord de branche le recours aux contrats à durée indéterminée conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération ? » Autrement dit, généraliser à un maximum de secteurs le CDI de chantier ?
Remise en cause du CDI
Par CDI, la plupart des gens entendent un emploi stable, durable, la garantie de congés payés, d’une mutuelle… Comme son nom l’indique, le contrat à durée indéterminée est associé au sentiment rassurant que pour peu que le boulot soit bien fait, son poste ne sera pas supprimé au premier grain venu. Il est aussi perçu comme le sésame pour convaincre un banquier d’accepter un prêt ou un propriétaire de louer son logement. C’est parfois oublier que le CDI est lui aussi fragile : un tiers de ces contrats sont rompus dans la première année. Quant à la rigidité de la législation française sur les ruptures du CDI, elle est bien plus supposée que réelle. Elle est surtout beaucoup moins forte qu’en Allemagne ou dans d’autres pays voisins.
Pour autant, le CDI demeure un graal pour de nombreuses personnes. Malgré les tentatives pour le ringardiser – les jeunes, rétifs à l’autorité, aspireraient à plus de liberté, le lien de subordination qui caractérise la relation salariée ne serait plus adapté… - le CDI reste encore, dans l’emploi salarié, le moyen le plus sûr de se projeter dans l’avenir.
Pour affaiblir le CDI, il suffit de créer une multitude d’autres contrats qui viendront le concurrencer
Il existe de nombreuses façons de remettre en cause le CDI. La possibilité de le remplacer par un contrat unique, soit la fusion pure et simple du CDI et du CDD, est un vieux serpent de mer. Il n’a pour l’heure pas refait surface. Mais le CDI peut subir des attaques sur un autre flanc. Pour l’affaiblir, il suffit de créer une multitude d’autres contrats qui viendront le concurrencer. La logique s’applique également pour le temps de travail. On peut répéter à l’envi que les 35 heures par semaine resteront la norme et encourager pléthore d’accords dérogatoires pour les contourner. Sur ce terrain, les efforts n’ont pas manqué.
CDI ou CDD de chantier ?
Sur le créneau du contrat de travail, le législateur a également su se montrer inventif. Dès la fin des années 1980, il a admis que les salariés en contrat de chantier échappent aux règles du licenciement économique classique (article l.1236-8 du code du travail). Mais qu’est-ce que ce CDI de chantier ? Quelle différence avec ce qu’on aurait tout aussi bien pu appeler un « CDD de chantier » ? Sémantiquement, il y a de quoi y perdre son latin. Concrètement, ce contrat réservé au secteur du BTP permet à l’employeur de se séparer du salarié lorsque prend fin le chantier. Aucune échéance n’est prévue à l’avance.
Il s’agit en réalité d’un contrat à durée indéterminée déterminé tout de même par ce que dure la construction d’un immeuble ou d’un ouvrage d’art. Très avantageux, le contrat de chantier peut même être conclu après un CDD pour surcroît d’activité pour le même salarié et sur le même chantier. L’employeur n’a pas à redouter de représailles judiciaires. Contrairement au CDD classique, la rupture ne donne pas lieu à une prime de précarité de fin de mission, elle est assortie d’une indemnité de licenciement pour motif personnel. Elle est moins coûteuse et parfaitement sécurisée pour l’employeur. Cette façon baroque de contourner les règles du licenciement concentre depuis des années tous les enjeux autour de la flexibilisation du contrat de travail. Peu importe la nature du contrat, ce sont les conditions de la rupture qui font l’objet de tous les assauts.
Le contrat de chantier est un contrat à durée indéterminée déterminé tout de même par ce que dure le chantier
Le code du travail a aussi vu apparaître toutes sortes de contrats hybrides CDI/CDD, à l’instar du CDI intérimaire qui après des débuts poussifs concernerait aujourd’hui 15 000 travailleurs intérimaires. Depuis 2014, les agences de travail temporaire peuvent ainsi recruter en CDI des intérimaires qui seront payés entre deux missions. Mais le licenciement les guette si le manque de missions se prolonge… Créé à titre expérimental en 2008 et généralisé en 2014, le CDD de projet appelé également « contrat à objet défini » - qui doit faire l’objet d’une négociation de branche - est une sorte de contrat de chantier mais pour ingénieurs et cadres. Leur contrat se termine lorsque la mission dans l’entreprise s’achève. Toutefois, ce CDD de projet est plus rigide qu’un contrat de chantier car la mission ne peut pas excéder trois ans et elle donne lieu à une prime de précarité équivalente à 10 % de la rémunération du salarié. Ce qui explique sans doute son succès très relatif auprès des employeurs.
Des salariés seraient officiellement en CDI mais tributaires d’une activité plus ou moins longue dans le temps…
Si le projet de « CDI de projet » se confirme dans les ordonnances attendues à la fin de l’été, il s’agirait donc de permettre aux branches de tous secteurs de négocier des contrats bien plus flexibles qu’un CDI classique. Des salariés seraient officiellement en CDI mais tributaires d’une activité plus ou moins longue dans le temps…
Pour l’employeur en revanche, il n’aurait pas à craindre une contestation devant le conseil de prud’hommes puisque la fin de la mission constituerait en elle-même une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Les syndicats, CFDT, CGT et FO en tête, se sont déclarés hostiles à la proposition. Pour le Medef, et avant lui le CNPF, c’est une vielle revendication qui serait en revanche exaucée. Sans qu’aucune évaluation des contrats de chantiers ni des contrats à objets définis n’ait été réalisée.
Assouplissement des CDD
Doit-on redouter que le CDI ne soit plus la norme ? De fait, si l’on parle en stock, Muriel Pénicaud a raison : le contrat à durée indéterminée reste largement majoritaire pour l’ensemble des salariés français (85,3 %). La photo n’est évidemment pas aussi idyllique selon les secteurs d’activité et l’âge des travailleurs. Le CDI est minoritaire (44 %) chez les 15-24 ans qui doivent prendre quelques rides avant de le décrocher.
Le passage obligé par le contrat à durée déterminée est lui, devenu la norme pour entrer sur le marché du travail, particulièrement pour les jeunes. 87 % des nouvelles embauches se font en CDD. Et si la part des CDI dans l’emploi reste relativement stable – elle a baissé de 1,5 point entre 2006 et 2016 – c’est essentiellement parce que l’armée de réserve des salariés précaires en CDD ne cesse de se renouveler, avec des contrats de plus en plus courts.
Le passage obligé par le CDD est devenu la norme pour entrer sur le marché du travail
Le mouvement n’est pas près de se tarir. De côté-là aussi, le gouvernement envisage des assouplissements. Le projet d’habilitation prévoit en effet « d’adapter par convention ou accord collectif de branche les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement et à leur succession sur un même poste ou avec le même salarié ».
Comme le montre la constellation des différentes formes de CDD existants, une grande partie d’entre eux sont déjà très souples, comme le CDD dit d’usage. Si les CDD continuent d’être flexibilisés et que les « CDI à durée déterminée » sont encouragés, il n’est pas certain que le CDI dit classique reste encore longtemps la norme.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/de-quoi-cdi-norme/00079488