Macron, le président du halo du chômage
Un chômage qui ne dit pas son nom et mis sur un coin de table par la statistique officielle, dénommé le « halo du chômage » par les économistes, atteint des sommets historiques sous la présidence d’Emmanuel Macron. Mais, bien évidemment, silence radio assourdissant des médias dominants inféodés à la doxa néolibérale sur l’explosion du nombre de ces chômeurs invisibilisés!
Le halo du chômage a explosé en 2020 sous l’effet de la crise liée au Covid-19, concernant aujourd’hui 1,9 million de personnes en 2020, selon les dernières estimations de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), publiées en mars dernier (1), mais vous ne trouverez pas un seul journaliste ou éditorialiste des médias dominants, pas même du service public (!), pour en rendre compte, et surtout en mesurer tout le sens pour ce qu’il dit sur la détresse sociale qui s‘étend dans notre pays. Cela, très probablement, pour ne pas irriter l’humeur et la susceptibilité de l’ôte et autocrate de l’Élysée. Pas très étonnant, me direz-vous, dans un pays où 90 % des médias sont la propriété de seulement neuf milliardaires (2), la fameuse « bande des neuf » (de Patrick Drahi à Arnaud Lagardère, en passant, entre autres, par les Vincent Bolloré et Bernard Arnault), la grande contributrice à la victoire électorale d’Emmanuel Macron de mai 2017. Au risque alors d’agacer très certainement le Roi Macron, faisons ici un zoom sur la courbe du halo du chômage, révélatrice des grands démons du néolibéralisme.
Au préalable, revenons brièvement sur quelques aspects méthodologiques liés à la mesure du chômage en France. En la matière, nous disposons de deux éclairages statistiques officiels (3). La Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail, publie les statistiques des demandeurs d’emploi de Pôle emploi, classés en cinq catégories de A à E. De son côté, l’Insee fournit, lui aussi trimestriellement, la statistique officielle du chômage au sens du Bureau international du travail (BIT), en appliquant, dans le cadre de son enquête Emploi, les normes très strictes du BIT (être sans emploi, être immédiatement disponible et rechercher activement un emploi). Ce que l’Insee appelle alors le « halo du chômage » regroupe les personnes souhaitant travailler mais qui, ne vérifiant pas les critères du BIT, sont classées comme inactives (donc sorties des statistiques de la population active), soit parce qu'elles ne sont pas disponibles pour travailler sous quinzaine (y compris pour des motifs de santé, de formation, d‘obligations familiales, etc.), soit parce qu'elles ne recherchent pas/plus « activement » un emploi (ce dernier sous-ensemble formant ce que l’Insee appelle les « chômeurs découragés »).
Bref, sur les bons conseils d’un certain Albert Camus, n’ajoutons pas du malheur au drame social du chômage, en mal nommant les choses : le halo du chômage, ainsi précédemment défini, constitue bien du chômage à part entière, camouflé par l’ordre néolibéral par sa non prise en compte dans la statistique officielle du chômage BIT, et qui concerne donc pour l’essentiel des individus à faible employabilité en raison d’un manque de qualification et de diplôme, à qui sont proposés la plupart du temps des emplois aux conditions de travail pénibles, voire indignes, et mal rémunérés,… d’où le découragement dans la recherche d’emploi dont font état certains d‘entre eux auprès des enquêteurs de l‘Insee. Il s’agit donc parmi la population des individus sans-emploi et souhaitant travailler, ceux les plus éloignés du marché de l’emploi, d’où l’inquiétude que devrait susciter auprès des dirigeants politiques la progression sensible de leur nombre au cours de la dernière décennie. Notons également que ces personnes ne constituent qu’une partie seulement du chômage dissimulé, car les individus comptés dans ce que l’Insee appelle le sous-emploi, à savoir essentiellement des individus en situation de travail à temps partiel « contraint », c’est-à-dire qui souhaiteraient travailler davantage, tout en ayant un emploi, eux aussi connaissent d’une certaine façon une privation de travail rémunéré... mais partielle !
Comme l’indique le graphique suivant, la progression du halo du chômage ne date pas de l’entrée en fonctions d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. Elle démarre même bien avant 1990, année à partir de laquelle l’Insee a commencé à évaluer cette catégorie statistique et où démarre la série représentée par le graphique ci-joint. Néanmoins, il apparaît d’ores et déjà fortement probable que le chef de l’État Macron sera aussi, dans l’histoire de la Cinquième République, le président du halo du chômage!
En la matière, quelques données chiffrées saillantes s’imposent sur l’évolution de cette catégorie statistique, au cours des trente dernières années : après une longue période de baisse de 1,2 % en moyenne annuelle sur la période 1995-2008, le halo du chômage connaît une hausse quasi ininterrompue, marquée par trois bonds successifs. Le premier bond couvre la seconde partie du quinquennat de Nicolas Sarkozy, avec une première augmentation de 6,6 % en 2009 par rapport à 2008, sous l’effet de la forte récession (baisse historique du PIB en volume de 2,9 % en 2009), induite par la crise financière de 2007-2008. Après une légère accalmie en 2012, il repart de plus belle à la hausse sous l’effet de la politique néolibérale de l’offre et d’austérité budgétaire de François Hollande, au rythme moyen l’an de 3,7 % durant la mandature présidentielle hollandiste (2012-2017), ce qui, au passage, nous remet aussi en mémoire le piètre bilan sur le front du chômage du président des « Cinq Perdues »… Enfin, troisième bond, celui-là de géant, rien que sur l’année 2020, le nombre de ces chômeurs officieux, mis sur la touche par la statistique officielle du BIT, a augmenté de 19,3 % par rapport à 2019, soit 312 000 personnes de plus. En 2020, ces chômeurs officieux au nombre de 1,9 million s’ajoutent donc aux 2,4 millions de chômeurs officiels au sens du BIT, si l‘on souhaite avoir une vision a minima réaliste du fléau du chômage ou du « mal-emploi » en France (4).
En final, rien que sur la première partie du quinquennat du président Macron, entre 2017 et 2020, le halo du chômage a connu une hausse annuelle moyenne de 6,3 %, soit près du double de la dynamique observée sous la mandature de François Hollande (+ 3,7 % en moyenne l’an entre 2012 et 2017), et cinq fois plus par rapport à celle enregistrée sous la présidence de Nicolas Sarkozy (+ 1,2 % entre 2007 et 2012). Un tragique bilan sur le front du halo du chômage, qui devrait malheureusement s’alourdir d’ici la fin du mandat d’Emmanuel Macron, en raison des effets dévastateurs de la guerre menée sans relâche par le chef de l’État contre les chômeurs et les travailleurs précaires, y compris en cette période chaotique de crise sanitaire et économique et d‘extrême fragilité de la cohésion sociale, avec comme dernière offensive belliqueuse, l’actuelle odieuse réforme néolibérale de l’assurance-chômage du gouvernement Castex. Emmanuel Macron ne restera donc pas dans les pages de l’histoire du néolibéralisme en France comme seulement le président des ultra-riches, mais bien aussi le président de la chasse aux chômeurs et du halo du chômage. Dans un article récent sur cette inique réforme de l'assurance-chômage, Laurent Mauduit ne pouvait pas si mieux dire à l‘endroit du président Macron (5) : « Avec la suppression de l’ISF, il a récompensé la clientèle qui l’a porté au pouvoir ; avec la réforme de l’assurance-chômage, il veut mettre à genoux ceux du camp d’en face, celui des plus modestes. ».
Source : https://blogs.mediapart.fr/yves-besancon/blog/090421/macron-le-president-du-halo-du-chomage?at_medium=custom7&at_campaign=1046