La réforme de l’assurance chômage inquiète les salariés aux contrats les plus précaires
TEMOIGNAGES - Trois décrets ont été publiés dimanche au Journal officiel afin de changer les règles d’indemnisation des personnes sans emploi. De nouvelles méthodes de calculs qui risquent surtout, à partir du 1er novembre, de pénaliser les Français qui travaillent de façon discontinue. Auprès de LCI, ces salariés précaires témoignent de leurs craintes.
"Peut-être que certains profiteurs vont se mettre un peu au boulot !" "Tant mieux, la France est un pays d’assistés !" "Le problème de la nouvelle génération, c’est qu’elle n’a pas envie de bosser !" Sur Facebook, les commentaires sous une publication concernant la réforme de l’assurance chômage sont virulents. Certains estiment que les décrets, passés ce dimanche 28 juillet, qui changent les règles d’indemnisation des personnes sans emploi, sont justes. Sauf qu’en réalité, bien que les calculs soient encore à éclaircir d’ici à leur application au 1er novembre, des économistes s’accordent à dire qu’ils visent surtout les travailleurs en discontinu. A savoir ceux qui cumulent des CDD.
Le "salaire journalier de référence" : un nouveau mode de calcul qui inquiète
Toujours sur les réseaux sociaux, ces derniers rétorquent. Principalement des jeunes et des femmes, inquiets. "Qu’en est-il des saisonniers ?", se demande ainsi une internaute. Une question que nous répète Michelle. "Avec les collègues, nous en parlions encore ce matin", nous confie-t-elle depuis la Gironde, où elle travaille dans le vignoble. Un emploi qui, par définition, dépend des saisons, pouvant débuter à la mi-décembre ou en janvier, en fonction du climat. "La végétation n’attend pas", relève-t-elle, comme si ce n’était pas une évidence.
Le problème pour Michelle et ses cinq collègues réside dans le nouveau mode de calcul mis en place par l’un des décrets. Alors qu’il était jusqu'ici basé sur la rémunération lors des jours travaillés, il se fera, avec la réforme, sur le mois dans sa totalité, jours chômés compris. Intitulé le "salaire mensuel de référence", il reste à être précisé. Mais il alarme d’ores et déjà les salariés concernés et certains spécialistes.
C’est en tout cas ce que nous explique Anne Eydoux. Économiste, ses recherches au sein du Centre d'études de l'emploi et du travail (CEET) portent notamment sur les politiques de l'emploi et le chômage. Bien qu’elle souligne que ce ne sont encore que des "hypothèses", il y a "effectivement de fortes chances pour que tous les chômeurs qui ont un emploi précaires voient leurs indemnités baisser". Il suffirait ainsi que le calcul soit fait sur une mensualité calendaire pour qu’un chômeur ayant travaillé quinze jours dans le mois voie réduire de moitié ses droits. Cette maîtresse de conférence au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique donne un cas pratique : "Si une personne travaille un mois à temps complet du 1er au 31 décembre, ça lui fera un emploi complet. Mais pour un même travail qui travaillera du 15 décembre au 15 janvier, elle pourrait avoir le même droit à l’indemnisation qu’une personne à mi-temps." Une situation "aberrante".
Le "bonus-malus", une mesure jugée inefficace
Sur Facebook, d’autres s’inquiètent du bonus-malus mis en place par un autre décret. Son objectif est de moduler les cotisations en instaurant un malus aux entreprises de sept secteurs différents, tel que l’agroalimentaire ou la restauration, qui abusent des contrats courts en récompensant au contraire par un bonus ceux qui privilégient l’emploi stable. Un système qui angoisse Sophie. Lorsque la ville se déserte pendant les vacances, elle est "vacataire". Et lorsque tout le monde est en week-end, elle est serveuse. Aucun de ces contrats ne dépasse une semaine. Ses remplacements en tant qu’aide médico-psychologique, ne s’étalent que sur une semaine, sauf si un salarié est en arrêt maladie. Un fait rarissime. "Tout le monde tient tellement à son CDI dans ce milieu que personne ne se met en arrêt !"
La jeune femme vit chez sa mère et épargne depuis des mois pour avoir son propre appartement. Mais désormais, elle craint que son employeur, l’ARS, ne devienne plus frileux si de telles sanctions sont appliquées. "Si nous n’avons plus accès à des contrats et que nous perdons des droits, comment fait-on ?", se demande-t-elle. Avant de répondre : "La seule solution c’est le RSA : un appel à la misère".
Anne Eydoux ne partage pas cette inquiétude. Elle observe qu'il existe déjà une indemnité de précarité pour ces emplois, et que la précédente modulation des cotisations pour les CDD n'a pas eu d'effet sur le recours des employeurs à ces derniers. De l’autre, elle juge ce malus "très faible", ce qui n'en fait qu'une mesure "symbolique". "Si le gouvernement voulait que les secteurs n’abusent plus des contrats courts, il n’aurait qu’à limiter les possibilités juridiques de recours aux CDD".
" Je ne suis pas une fainéante, moi!
Elle pointe un message de stigmatisation des précaires. Car selon elle, s’il existe sur Facebook, c’est aussi un message véhiculé par le gouvernement. "L’objectif est de justifier le fait qu'on pénalise les trajectoires discontinues", dénonce ainsi l’économiste, "et pour y arriver, ce sont les rhétoriques habituelles qu’on utilise". A savoir, celle de rendre les demandeurs d’emploi responsables de leur propre situation. "Comme s’ils avaient un goût pour la précarité." Pour cette membre du collectif des Economistes atterrés, "ces personnes font les frais de la réforme, mais elles ne sont pas à l’origine des contrats courts ! Ils ne se sont pas développés à la demande des salariés mais à celle des employeurs !"
Le malaise est grand chez les concernés. "Je ne suis pas fainéante, moi !", nous assène Michelle. Travailleuse depuis qu’elle a 16 ans, elle a monté les échelons jusqu’à devenir cheffe d’équipe dans une entreprise de nettoyage. Avant de tout arrêter quand sa mère, ouvrière agricole, a fait un AVC. Après avoir pris soin d’elle, cette mère de trois enfants a cumulé les emplois avant de se former pour travailler dans la vigne. Un emploi manuel, très physique, qui résonne comme un hommage à sa mère, "pas toujours facile", notamment sous la canicule, mais qui lui "plait beaucoup".
"Il ne faut pas englober tout le monde", insiste-t-elle en s’emportant : "Regardez notre métier et sa réalité !" "Mon corps subit des conséquences d’un emploi peu rémunéré, j’ai des douleurs en permanence. Alors pourquoi cherchent-ils à nous pénaliser ?" lance-t-elle.
Marie, elle aussi, ne comprend pas. "Pourquoi nous voit-on comme des fainéants ?" Très émue, elle nous raconte comment elle désire plus que tout trouver un emploi stable en tant qu’aide médico-psychologique. Un métier pour lequel elle est diplômée d’Etat. Mais cette entreprise est d’autant plus compliquée que Marie habite dans le département de l’Aisne, où le chômage atteint 12% de la population active, soit quatre points au-dessus de la moyenne en France métropolitaine.
Deux semaines auparavant, cette mère célibataire a passé un énième entretien pour un CDI. Le jour de passage, il y avait 17 autres postulants. Pour un contrat à mi-temps payé 600 euros. "Je préfère me serrer la ceinture et avoir une stabilité de l’emploi", concède-t-elle, la gorge nouée. Car qui dit contrat long dit possibilité d’évolution et horaires fixes pour la nounou de sa fille de deux ans. Alors à 25 ans, elle a l’énergie et la volonté de cumuler des emplois dans deux secteurs d’activité. Et de subir cette stigmatisation. Mais jusqu’à quand ? Tout ce qu’elle espère désormais : avoir enfin l’opportunité de trouver un CDI pour "commencer à construire une vie".