La question Faut-il craindre un retour du chômage ?
Après une période de faible hausse, le chômage baisse de nouveau légèrement. Mais plusieurs éléments, comme l’emploi intérimaire ou le chômage des jeunes femmes, interrogent sur la durabilité de ce recul.
Fin juillet, alors que les Jeux olympiques sont sur le point de commencer, Emmanuel Macron répond aux questions lors du JT de France 2. Invité à expliquer la défaite électorale de son camp, le Président déclare : « Je pensais très sincèrement qu’en commençant à régler la question du chômage de masse, on réconcilierait la France avec elle-même. Ça n’est pas suffisant. »
« Commencer à régler la question du chômage de masse » ? Le diagnostic est généreux. Certes, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, le taux de chômage a nettement baissé. Mais cette baisse avait commencé sous François Hollande, et cette baisse a été globalement plus faible que celles de voisins européens.
Bref, le gouvernement a la fâcheuse tendance à survendre un bilan contestable en termes d’emploi. Surtout, la baisse du chômage a connu un gros coup d’arrêt après l’euphorie post-pandémie Covid-19. Entre le premier trimestre 2023 et son équivalent 2024, le taux de chômage a ainsi progressé de 0,4 point, remontant à 7,5 %.
Dans ce contexte, la publication des derniers chiffres de l’emploi était particulièrement attendue. Bonne nouvelle, ils sont plutôt encourageants selon les deux thermomètres – de nature très différente – qui mesurent l’évolution de l’emploi. La Dares, rattachée au ministère du Travail, qui s’appuie sur les personnes inscrites à France Travail, note que le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, B et C a diminué de 0,2 % au deuxième trimestre 2024, portant leur nombre à 5,8 millions de personnes.
Les enquêtes emploi de l’Insee, de leur côté, décèlent une tendance similaire. L’institut note qu’« au deuxième trimestre 2024, le nombre de chômeurs en France (hors Mayotte) [...] diminue de 40 000 par rapport au trimestre précédent, à 2,3 millions de personnes. Le taux de chômage diminue ainsi de 0,2 point, à 7,3 % de la population active ».
La baisse du chômage est-elle donc réenclenchée ? « Il ne faut pas trop extrapoler ce beau chiffre », répond Bruno Coquet, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), également chroniqueur pour Alternatives Economiques. D’abord, parce que la marge d’erreur pour la statistique du chômage est de plus ou moins 0,3 point.
Injonction à travailler coûte que coûte
Ensuite, si l’on observe les indicateurs complémentaires au sacro-saint taux de chômage, des points de vigilance apparaissent. « L’évolution la plus notable est la poursuite de la hausse du taux d’activité », note ainsi Bruno Coquet. Cet indicateur mesure la part de la population qui est active, c’est-à-dire en emploi ou au chômage. Cette hausse est en bonne partie liée aux réformes, qui, ces dernières années, ont consisté à ramener de force certaines personnes proches du monde du travail, à l’image du RSA conditionné à 15 heures d’activité ou l’allongement de l’âge de départ à la retraite, qui maintient des seniors plus longtemps sur le marché du travail.
L’intérim recule pour le sixième trimestre consécutif, avec 48 700 postes en moins par rapport au deuxième trimestre 2023
La hausse du taux d’activité et celle du taux d’emploi sont généralement considérées comme de bonnes nouvelles macroéconomiques parce qu’elles traduisent une plus grande participation de la population à la force de travail d’un pays. Mais ces derniers mois, une partie de cette hausse résulte probablement de l’injonction du gouvernement à travailler coûte que coûte.
Par ailleurs, le diable se cachant dans les détails, d’autres points viennent nuancer les chiffres du chômage. A commencer par la dégradation de l’emploi intérimaire. Les statistiques du début de l’été indiquent en effet que l’intérim recule pour le sixième trimestre consécutif (avec 48 700 postes en moins par rapport au deuxième trimestre 2023).
Certains secteurs d’activité comme l’industrie automobile, la construction ou encore le tertiaire sont particulièrement touchés. Rien qu’en juin, l’intérim a subi une perte de 20 000 postes ! « On a du mal à comprendre pourquoi », signale Bruno Coquet.
Pour le BTP par exemple, le recours à l’intérim – pourtant très courant – est en baisse nette. Elle traduit probablement la crise que connaît le secteur depuis plusieurs mois, liée au durcissement de la politique monétaire et aux normes environnementales. « Mais nous en saurons davantage sur les raisons précises début septembre », poursuit l’économiste de l’OFCE.
Ces informations sont précieuses. Car si l’intérimaire ne représente qu’entre 2 et 3 % de l’emploi salarié en France, il sert souvent d’indicateur conjoncturel avancé des évolutions à venir sur le marché du travail, du fait de sa sensibilité à l’évolution du climat économique.
Le scénario d’un retournement du marché
Un autre point permet de relativiser les « bons chiffres » du chômage si l’on zoome sur les populations en demande d’emploi : « On observe un important recul du taux d’activité et du taux d’emploi des femmes âgées de 15 à 24 ans », reprend Bruno Coquet. La cause pourrait être d’ordre sectoriel, mais là encore, l’économiste ne se risque pas à des explications.
En attendant, le constat est clair : au deuxième trimestre 2024, le taux de chômage des femmes de 15-24 ans atteint les 17,9 %, soit plus que toutes les autres tranches d’âge. Ce taux est également supérieur à celui des jeunes hommes.
Pour autant, ces ombres sur le tableau du chômage annoncent-elles un retournement du marché de l’emploi ? Difficile d’avoir une réponse tranchée du côté des économistes.
Certes, en avril, l’OFCE tablait sur un retournement du marché de l’emploi pour 2024, en raison du ralentissement des embauches. Et dans sa dernière note de conjoncture, la Banque de France, qui prévoyait également un tel phénomène pour début 2024, a décalé son diagnostic, écrivant désormais que « le taux de chômage connaîtrait une hausse limitée en 2025 (7,9 %) ».
Mais interrogé par Le Monde, début août, Yves Jauneau, chef de la division synthèse et conjoncture du marché du travail à l’Insee, appelait à rester prudent :
« L’emploi s’inscrit dans une tendance de net ralentissement : en 2023, il a progressé de 0,1 % par trimestre, soit beaucoup moins qu’en 2022, où la hausse était de 0,4 %. Mais on n’a pas encore de signe de retournement du marché du travail pour le moment. »
Un dernier point, positif cette fois, doit être pris en compte dans l’équation finale, indique Bruno Coquet : avec un petit peu de croissance (1 %) et un ralentissement de la création d’emploi, 2024 pourrait signer le retour des gains de productivité.
« Est-ce que tous ces éléments (productivité, taux de chômage des jeunes femmes, intérim) invitent à changer ce qu’il y a dans les prévisions ? La réponse est non. Et est-ce qu’on a une embellie ou une vraie détérioration ? Non plus. »
Bref, le brouillard est important sur l’avenir de l’emploi. Ce d’autant que les chiffres à disposition, qui ont servi de base aux projections, datent d’avant la crise politique consécutive aux élections européennes. Plusieurs notes de conjoncture devraient être publiées dès la rentrée à ce propos. Peut-être dessineront-elles des tendances plus claires au sujet des courbes du chômage.
https://www.alternatives-economiques.fr/faut-craindre-un-retour-chomage/00112093