Bas salaires, prix élevés, aides publiques : comment les entreprises défendent leurs profits !
Le dernier point de conjoncture de l’institut La Boétie, think-tank de la France insoumise, montre que les entreprises s’appuient sur la hausse des prix, les aides publiques, et des faibles hausses de salaire pour maintenir des marges confortables.
Le jeune think-tank lié à la France insoumise, l’Institut La Boétie, enfonce le clou sur l’arbitrage entre profits et salaires dans les entreprises. Son dernier point de conjoncture s’emploie à montrer que la hausse du taux de marge se fait sur le dos des salaires réels (qui baissent). Une contribution intéressante au moment où les entreprises de l’agroalimentaire enregistrent des profits records.
A titre d’exemple, Nestlé, le numéro 1 mondial de l’alimentation, a annoncé un chiffre d’affaires sur le premier semestre 2023 en hausse de 8,7 %, un record depuis 2008. Cette hausse a été portée par le choix d’augmenter les prix de 9,5 % sur la période. La stratégie est payante pour le géant suisse, puisque son taux de marge a lui aussi progressé, de quoi encaisser un bénéfice net de 5,6 milliards de francs suisses (+ 7,7 % sur le semestre).
La note de la Boétie est beaucoup moins conjoncturelle. L’auteur, le statisticien Sylvain Billot, remonte dans le temps et calcule la part des salaires dans la valeur ajoutée (VA) des sociétés non financières entre 1952 et 2022. L’étude fait le choix de ne pas prendre en compte l’ensemble des entreprises, expliquant que « la baisse de la part des entrepreneurs indépendants (dont le revenu s’assimile au profit en comptabilité nationale) et l’augmentation du nombre de salariés ont entraîné un biais à la hausse sur la part des salaires dans la valeur ajoutée ».
Dans son analyse, Sylvain Billot délimite quatre périodes. Les deux premières, entre 1952 et 1982, sont très favorables aux salariés, qui parviennent alors à capter une plus grande part de la richesse produite. Après le tournant mitterrandien de la rigueur en 1983, la part des salaires fond de façon spectaculaire jusqu’en 1988. Une dernière période, qui s’étire de 1988 à 2022, permet une légère progression des salaires dans le partage de la richesse, mais à des niveaux – autour de 65 % – beaucoup plus bas qu’entre 1952 et 1983.
La fin du timide printemps salarial
Les derniers mois pourraient bien remettre en cause ce timide printemps salarial. Car la note souligne qu’après des ralentissements des gains de productivité, la France connaît depuis 2019 une baisse absolue de la productivité horaire, c’est-à-dire des gains de productivité négatifs (- 0,7 % environ en 2021).
En clair, il faut plus de main d’oeuvre pour une même production. Cette baisse de la productivité pousse à la baisse les marges des entreprises. Pour les maintenir, l’Institut La Boétie explique que depuis 2019, elles font en sorte de maintenir des salaires relativement faibles.
« Le phénomène est totalement inédit depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, explique l’auteur. Même lors de la « stagflation » (faible croissance et forte inflation) de la fin des années 1970, le salaire réel moyen a toujours progressé plus vite que les prix à la consommation », relate l’étude.
Au-delà du pied sur le frein des salaires, l’autre stratégie des entreprises consiste à augmenter les prix, comme le montre le cas de Nestlé.
Dans l’agroalimentaire, le taux de marge a fortement augmenté depuis 2019 malgré la baisse de la productivité. Par quel miracle ? Selon la fondation insoumise, « les entreprises de ces secteurs ont profité des crises successives pour imposer des hausses des prix nettement supérieures à l’inflation moyenne ». Si on y ajoute la légère baisse des salaires réels, le taux de marge a progressé de 8 % sur la période allant du quatrième trimestre 2019 au premier trimestre 2023.
Enfin, la note se penche sur les effets des financements publics aux entreprises, en zoomant sur la période 1998-2022. L’auteur calcule alors la part des profits dans la valeur ajoutée avant et après redistribution, c’est-à-dire avant et après le paiement de toutes les cotisations patronales et autres impôts et la réception des diverses subventions. Là encore, l’auteur choisit de se concentrer uniquement sur les sociétés non-financières.
Dépendance aux aides publiques
Il en ressort que la part du profit avant redistribution est en baisse sur toute la période étudiée, « ce qui est cohérent avec une baisse de la productivité ». Mais la note souligne une hausse du profit après redistribution, qui s’amorce vers 2014 et s’accélère depuis 2019. « Début 2021, la part du profit après redistribution a atteint un sommet historique depuis l’après-guerre », insiste l’auteur.
L’auteur estime que la hausse des profits après redistribution à partir de 2014 s’explique par la mise en place du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), transformé en 2019 en allègements pérennes des cotisations patronales. Puis pointe l’effet des aides liées au Covid-19 à partir de 2020. « Cela illustre la difficulté des entreprises à dégager des profits sans soutien public », conclut la note.
Dans le contexte des débats récurrents sur le partage de la valeur et sur les causes de l’inflation, l’Institut La Boétie apporte ainsi des arguments à la France insoumise, qui milite pour un blocage des prix de certains aliments.
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/bas-salaires-prix-eleves-aides-publiques-entreprises-defende/00107695?utm_source=emailing&utm_medium=email&utm_content=04082023&utm_campaign=hebdo
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