Luc Behaghel : « Pôle emploi s’est révélé plus efficace et moins coûteux que le privé ».
Luc Behaghel est directeur de recherche INRA, au sein de l’Ecole d’économie de Paris et membre du réseau J-Pal - Laboratoire d’action contre la pauvreté. Il fait partie des candidats distingués par une nomination au Prix du meilleur jeune économiste 2015 remporté par Pascaline Dupas.
Vous êtes un spécialiste de l’évaluation des politiques publiques. Quel est l’apport de vos travaux à cette discipline ?
Luc Behaghel.- Le fil rouge de tous mes travaux est la lutte contre la pauvreté et les inégalités, par l’évaluation des politiques publiques dans trois domaines : la politique de l’emploi (accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi, CV anonyme), l’éducation (internat d’excellence), le développement. Sur tous ces sujets, les théories économiques intelligentes sont nombreuses, mais trop nombreuses pour être toutes vraies.
C’est ce constat qui m’a conduit à mener mes recherches par l’évaluation micro-économique de politiques et de dispositifs précis. L’évaluation selon l’approche du test clinique (avec un groupe test et un groupe témoin déterminés par tirage au sort) contraint les pouvoirs publics à se donner les moyens de sortir de la controverse idéologique et d’être surpris. Si je suis décideur, tous les arguments peuvent être bons, mais seul le test clinique, transparent et robuste est un outil efficace pour donner un conseil pertinent.
En quoi vos travaux sur l’évaluation de l’accompagnement des chômeurs ont-ils répondu à l’actualité ?
L’idée, quand nous avons commencé en 2006, était de se concentrer sur le risque de chômage de longue durée, et de mettre l’accent sur une forme d’accompagnement qui tienne à la fois du coaching et d’un travail d’intermédiation plus poussé.
Le manque de ressources humaines, toujours d’actualité, a incité, alors, les pouvoirs publics à confier ce rôle à des opérateurs privés. L’Unedic poussait très fort en ce sens, au grand dam des collaborateurs de Pôle emploi (alors ANPE), qui y voyaient une non-reconnaissance de leur travail.
Mais, contrairement à la conviction des pouvoirs publics, notre évaluation a démontré que le travail d’accompagnement renforcé réalisé par l’ANPE était plus efficace et moins coûteux que celui du secteur privé. Il augmentait de 20 % à 25 % les taux de retour à l’emploi, tandis que les effets des programmes privés étaient d’un tiers plus faibles.
Les conclusions de ces évaluations ont-elles été prises en compte par les pouvoirs publics ?
Oui. La déception face au manque d’efficacité des opérateurs privés alors que les attentes étaient très élevées a marqué les esprits. La légitimité de Pôle emploi dans son rôle d’accompagnement personnalisé des populations les plus fragiles fut ainsi avérée et peu discutable. L’idée d’allouer des moyens supplémentaires consacrés à un groupe à risque de chômage de longue durée est, depuis lors, acquise.
Dans la nouvelle « offre de services » de Pôle emploi, il y a désormais trois modalités d’accompagnement, dont celui renforcé, qui est directement inspiré de ces expérimentations. Ce qui reste à approfondir est la bonne articulation entre Pôle emploi et les sous-traitants dans les services proposés aux chômeurs. On ne peut, désormais, plus ignorer ce type d’évaluation. Sur des débats fondamentaux comme la lutte contre l’inégalité face à l’emploi, cela vaut la peine de faire ce type d’investissement.
http://www.lemonde.fr/emploi/article/2015/05/18/luc-behaghel-pole-emploi-s-est-revele-plus-efficace-et-moins-couteux-que-le-prive_4635594_1698637.html