Thibaut Guilluy : "Plus on investira dans l’accompagnement au retour à l’emploi, plus on aidera à faire des économies"
Les objectifs assignés au nouvel opérateur France Travail sont ambitieux
et tout cela nécessite des moyens. Tel est en substance le
message que souhaite porter le directeur général de France Travail,
Thibaut Guilluy, alors que les débats budgétaires se poursuivent
au Parlement.
Les objectifs assignés au nouvel opérateur France Travail sont ambitieux et tout
cela nécessite des moyens. Tel est en substance le message que souhaite porter le
directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy, alors que les débats budgétaires
se poursuivent au Parlement. 'Il y a une mesure que je trouve honnêtement
discutable, c’est de jouer sur les ETP' dans le cadre budgétaire, voyant cette décision
motivée par une approche de court terme peu efficiente à moyen et long
terme, explique-t-il, mercredi 20 novembre 2024 devant les membres de l’Ajis.
Accompagner plus d’un million de bénéficiaires du RSA, 'passer de 500 000 à
1,5 million de contrôles' de la recherche d’emploi d'ici 2027, 'passer de 100 000 à
600 000 prospections d’entreprises', mettre en oeuvre les mesures de la Confé‐
rence nationale du handicap avec les 100 000 licenciés pour inaptitudes et les
50 000 personnes orientées dans les Esat ou encore 'la généralisation d’Avenir Pro
pour éviter que 100 000 gamins qui sortent des lycées professionnels se fracassent
sur le marché du travail'… Les objectifs assignés à l’opérateur France Travail d’ici
fin 2027 sont nombreux et 'tout ça, c’est du plus, et cela ne se fait pas sans rien.
S’il n’y a pas les moyens en face, ce n’est pas possible', explique le directeur général,
Thibaut Guilluy, mercredi 20 novembre 2024, à l’occasion d’une rencontre avec
les membres de l’Ajis (Association des journalistes de l’information sociale).
'discutable de jouer sur les ETP'
En plus de l’absence d’augmentation des moyens pour 2025, 'il y a une mesure que
je trouve honnêtement discutable, c’est de jouer sur les ETP', poursuit-il, faisant référence
à la suppression de 500 ETP prévue dans le PLF 2025. 'Que l’on fasse des
économies, pas de problème, mais qu’ensuite on vienne imposer à l’opérateur de
décider ce qu’il doit externaliser et ce qu’il peut faire en interne' n’est pas du goût
du directeur général, qui indique 'croire beaucoup plus à l’efficacité de [ses]
conseillers pour accompagner les bénéficiaires du RSA' qu’à celle des opérateurs
privés. 'Cela coûte deux fois plus cher d’externaliser l’accompagnement des bénéficiaires
du RSA que de le faire porter par des travailleurs sociaux des départements
et des conseillers de France Travail. Donc au moment où on doit faire des économies,
je trouve ça un petit peu bizarre que certaines administrations nous demandent
de plafonner le nombre d’ETP, et c’est ça qui fait encore l’objet de discussions
avec le Sénat et le nouveau gouvernement'.
En ce qui concerne les allocataires du RSA appelés à être tous inscrits auprès de
l’opérateur en 2025, 'nous allons mener des évaluations pour voir ce qui est efficace
sur le taux de retour à l’emploi. Par exemple, si on voit que c’est un conseiller
pour 50 ou 60 personnes, je ne vais pas, pour des raisons administratives [et budgétaires],
passer à des portefeuilles avec un conseiller pour 100 ou 150 bénéficiaires.
Cela ne marcherait pas et du coup, ce serait gaspiller de l’argent public',
illustre-t-il. Et d’indiquer que 'ce sera en fonction des moyens discutés et validés
dans le PLF que l’on pourra définir notre capacité à augmenter le nombre
d’accompagnements de BRSA'. Si l’objectif est que 'd’ici fin 2027, il n’y ait plus une
personne au RSA qui ne bénéficie pas de l’accompagnement intensif dont il a besoin',
reste à savoir si les pouvoirs publics accorderont les moyens à cette ambition.
'un bon investissement'
'Ce que l’on construit avec les départements et les services de l’État depuis un an
et demi, c’est typiquement une réforme qui s’inscrit à la fois dans l’intention Barnier,
si on peut le dire comme ça, et dans les objectifs de retour à l’équilibre [des finances
publiques]. Le RSA, c’est une augmentation constante des dépenses
d’allocations depuis l’invention du RMI [en 1988] pour atteindre 13 Md€ au‐
jourd’hui. Du coup, les dépenses d’insertion sont devenues quasiment nulles',
constate Thibaut Guilluy.
Les expérimentations de l’accompagnement renforcé montrent que '42 % des BRSA
sont sortis du RSA douze mois après [le lancement de l’accompagnement]. Les économies
d’allocations pour ces 42 % sont bien supérieures aux coûts moyens
d’accompagnement d’à peu près 1 100 euros pour remettre une personne à
l’emploi', continue-t-il. 'C’est un bon investissement. Et plus on investira dans
l’accompagnement au retour à l’emploi, plus on aidera les départements à retrouver
un équilibre [budgétaire] et plus on aidera à faire des économies sur les finances
publiques', ajoute le directeur général.
soutien aux conseillers
'Notre premier métier, c’est de donner confiance aux demandeurs d’emploi et de
les accompagner dans leur recherche. Comment voulez vous le faire si vos
conseillers eux-mêmes se sentent précarisés, mal considérés, peu appréciés. Avec
un manque de soutien, ça ne peut pas marcher', insiste Thibaut Guilluy. 'Cela renvoie
aussi au débat sur les moyens […]. Nous avons le devoir, vis-à-vis des demandeurs
d’emploi, vis-à-vis des entreprises, vis-à-vis des pouvoirs publics qui nous financent,
d’être le plus efficace possible […]. En revanche, je ne demanderai jamais
à mes collaborateurs de faire plus que ce qu’ils sont capables de donner', ajoute-til.
'Si on a envie d’avoir un service public de l’emploi efficace, il faut faire attention à
la considération et aux conditions de travail [des agents], y compris sur les questions
de rémunération […]. Il y a aussi le sujet des CDD versus les CDI. On y travaille
avec la ministre, mais je considère qu’il y a une part de CDD trop importante.
C’est difficile de demander à des gens d’accompagner l’insertion dans l’emploi durable
s’ils sont eux-mêmes en situation instable', conclut-il.
la réforme de l’assurance chômage, une priorité parmi d’autres
'Par essence, gérer la mise en oeuvre d’une réforme d’assurance chômage est prioritaire.
Mais là, on a quand même aussi la loi 'plein-emploi' avec une deadline au
1er janvier [avec l’inscription obligatoire des allocataires du RSA]. Donc on ne peut
pas poser le stylo sur les autres sujets pour prioriser seulement la mise en oeuvre
de cette réforme', explique Thibaut Guilluy, répondant aux interrogations sur le délai
d’application des mesures de la future convention d’assurance chômage.
En pratique, si elles sont validées par les partenaires sociaux puis par les pouvoirs
publics, l’essentiel des mesures n’entrera en vigueur que le 1er avril et non pas le
1er janvier 2025 (lire sur AEF info). Une réforme du régime nécessite mécaniquement
de faire évoluer le système d’information de l’opérateur et 'la bande passante
du SI dépend aussi de tous les autres projets' à mettre en oeuvre, souligne-t-il. De
plus, 'la sédimentation des règles de l’assurance chômage fait que c’est d’une extrême
complexité et ça l’est avant tout pour les demandeurs d’emploi', relève le directeur
général.
SOURCE : AEF 2024-11-21 07:19:30