SOCIAL : A-t-on les moyens financiers d’abroger la réforme des retraites ?

Contrairement à ce que répète la majorité présidentielle, revenir sur l’âge de départ à 64 ans est réalisable sans entraîner la banqueroute du système.

Le sujet s’est rapidement invité dans la campagne des législatives. Et pour cause, il est le parfait révélateur des différents projets de société proposés par les trois blocs politiques concurrents.

Sans surprise, l’âge de départ figurait donc en bonne place dans le débat qui opposait Gabriel Attal pour le camp présidentiel, Jordan Bardella pour celui du Rassemblement national (RN) et Manuel Bompard pour celui du Nouveau Front populaire (NFP), le 25 juin sur TF1.

Dans le camp macroniste, le Premier ministre a répété à l’envi que revenir sur la réforme de 2023, qui a allongé l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, conduirait à mettre le système de retraite « en banqueroute » et à baisser drastiquement le montant des pensions.

Gabriel Attal s’est appuyé sur les scénarios du Conseil d’orientation des retraites (COR) pour affirmer que, sans la réforme, le déficit du système serait encore plus important. Sauf qu’il oublie de préciser que le COR ne prévoit pas un dérapage des dépenses, il souligne un manque de recettes. Ce que son adversaire, Manuel Bompard, n’a pas manqué de lui rappeler.

Seul à s’exprimer sur le chiffrage et le calendrier, ce dernier a confirmé qu’une fois le NFP au pouvoir, la réforme serait abrogée dans les 15 jours après le scrutin pour revenir à un âge légal de 62 ans. Il a également rappelé qu’une réflexion serait lancée sur un retour de la retraite à 60 ans.

Le grand flou du RN

Jordan Bardella a, comme à son habitude, cultivé le flou. Il faut dire que début juin, le RN avait annoncé que la retraite à 60 ans, promesse de longue date du parti, n’était plus la priorité. Puis dans son programme, divulgué quelques jours plus tard, il promettait « d’abroger la réforme des retraites de Macron et mettre en place un système de retraites progressif ».

 

Encore faut-il maîtriser les concepts au cœur du système : âge de départ légal (en dessous duquel il est impossible d’ouvrir des droits, ce que ne semblait pas comprendre non plus Gilles Bouleau, le présentateur de TF1) ; nombre d’années de cotisation nécessaire ; retraite à taux plein ; progressivité ; ou encore âge pivot1. Cette dernière idée a été empruntée par Jordan Bardella à Emmanuel Macron, qui souhaitait mettre en œuvre sa retraite à points en 2018.

« Je veux privilégier les Français qui ont commencé à travailler tôt », a déclaré le président du RN. Un travailleur ayant cumulé 40 annuités pourrait ainsi partir à la retraite à 60 ans. Pour les autres, une « progressivité » serait mise en place. Et Jordan Bardella de poursuivre :

« Une personne qui a commencé à travailler à 24 ans, partira à la retraite avec 42 annuités de cotisation, c’est-à-dire 66 ans. [...] Le déficit public record et le déficit budgétaire sans précédent [me conduisent] à faire des choix ».

Contrairement à ce qu’ont pu dire certains commentateurs à propos de ces 66 ans qui seraient « pires que le système actuel de 64 ans », il s’agit là de l’âge de la retraite à taux plein et non pas de l’âge légal de départ.

Dans le système imaginé par le Rassemblement national – qu’il chiffre à 9 milliards d’euros sans en livrer le détail du financement – et que son leader n’a pas su expliquer, il faut sans doute comprendre que l’âge légal (ou âge pivot) serait en fait fixé à 62 ans. Il serait donc possible de partir à cet âge, mais avec une décote si un salarié ne possède pas tous les trimestres nécessaires (à savoir 42, si on n’a pas commencé tôt).

Mais le sujet qui réunit surtout Jordan Bardella et Gabriel Attal concerne les moyens financiers. Chacun dans son registre joue sur l’impossibilité de toucher au système faute de moyens.

Il est encore temps d’abroger

Or, comme nous l’expliquions déjà ici, le financement du système de retraite relève de choix politiques.

Abroger la réforme de 2023, c’est-à-dire revenir à un âge légal de départ à la retraite à 62 ans, réparer les injustices sociales qu’elle induit vis-à-vis de la pénibilité au travail mais aussi des femmes par exemple, tout en veillant au financement du système, est loin d’être un mirage.

Le faire rapidement est d’autant plus pertinent que cela permettrait de ne pas créer trop d’écarts entre les générations et de limiter les coûts.

« Comme la réforme commence à s’appliquer, elle ne rapporte pas grand-chose pour l’instant [la réforme ne commence à générer beaucoup d’économies qu’à partir de 2030, NDLR.]. Ça ne coûterait donc pas grand-chose de l’abroger aujourd’hui », précise Simon Pierre Sangayrac, professeur d’économie à Paris-Dauphine et Science Po, expert à l’institut Jean Jaurès, qui a participé au chiffrage du programme du NFP.

Cela coûterait entre 20 et 22 milliards d’euros, d’après les calculs de Michaël Zemmour, professeur d’économie à l’Université Lyon 2. En s’appuyant sur les simulations du COR, le décalage de l’âge représenterait environ 0,8 point de PIB en 2032, auquel il faudrait ajouter 0,4 point de PIB de déficit puisque la réforme n’a pas fini de s’appliquer.

Augmenter les cotisations

Pour financer cette abrogation, plusieurs options sont possibles. L’un des leviers consisterait à augmenter les cotisations sociales qui financent le système de retraites. Les niveaux de hausse pourraient être discutés, mais même relativement faibles, ils permettraient de remonter le solde.

D’après un chiffrage réalisé par le COR, une hausse du taux de prélèvement de + 0,6 point, étalée sur cinq ans, serait nécessaire pour équilibrer le système de retraite en 2030.

Une option pour équilibrer le système de retraite serait d’augmenter les taux de prélèvement

Taux de prélèvement (en %) dans le scénario de référence du Cor et dans une hypothèse d'équilibre du système de retraites

Le scénario de référence s’appuie sur l’hypothèse d’une fécondité de 1,8 enfant par femme, d’un solde migratoire net de 70 000 personnes par an, d’une croissance annuelle de la productivité horaire du travail de 1,0 % (à partir de 2040) et d’un taux de chômage de 5,0 % (à partir de 2030). 

« Une hausse d’un point de cotisations d’ici 2030 suffirait à équilibrer le système », indique de son côté l’économiste Henri Sterdyniak, dans une note de blog.

Augmenter les cotisations de 0,8 point d’ici à 2027 représenterait 12 milliards de recettes, estimait encore Michaël Zemmour fin 2022, qui a fait le calcul.

Concrètement, cela se traduirait par 14 euros net par mois en 2027 pour une personne au Smic et 28 euros net pour une personne touchant le salaire moyen (2 574 euros en 2022)« en faisant l’hypothèse (extrême) que l’intégralité de la hausse de cotisation est supportée par les salariés et non par les employeurs », soulignait-il. Hypothèse qui pourrait être discutée puisqu’une autre répartition serait envisageable (par exemple une prise en charge par les salariés à hauteur des deux tiers, et par l’employeur d’un tiers).

Dans son programme, le Nouveau Front populaire propose d’augmenter les cotisations sociales des salariés et des employeurs de 0,25 point par an.

« C’est à la fois très faible et en même temps, cela rapporte pas mal de recettes, analyse Michaël Zemmour. En cinq ans, cela finance les deux tiers de l’abrogation de la réforme des retraites à 62 ans. »

Pour compléter le financement du système, il serait possible d’aller chercher d’autres recettes : les cotisations sur l’épargne salariale par exemple.

« L’inclusion de l’épargne salariale rapporterait aux régimes de retraite un flux de cotisations de l’ordre de 3,5 milliards d’euros supplémentaires par an », rappelait l’économiste, dans une note de blog précédemment publiée.

D’autres économistes suggèrent de puiser du côté des complémentaires santé, option à laquelle s’oppose le Medef, voire de l’assurance chômage : Henri Sterdyniak évoque en effet la possibilité de prélever l’équivalent de 0,65 point de PIB dans les excédents de l’Unédic pour financer les retraites.

De son côté, le Nouveau Front populaire propose de trouver de nouvelles recettes fiscales via les revenus du capital : 30 milliards d’euros avec une taxe sur les superprofits (15 milliards) et un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avec une composante climatique (15 milliards). Avec ces différentes recettes, « l’abrogation de la réforme serait bouclée sans problème », indique encore Michaël Zemmour.

Et la retraite à 60 ans ?

La marche serait plus haute pour financer un retour à la retraite à 60 ans. Mais le NFP ne propose pas d’y revenir immédiatement. « Si c’était tout de suite, cela coûterait très cher et créerait un gros choc par rapport aux âges », poursuit l’économiste.

« C’est un horizon, pas quelque chose qui va se faire à court terme », précise Simon-Pierre Sangayrac.

Il est question « d’organiser une conférence avec les partenaires sociaux pour déterminer collectivement les conditions de retour à l’âge légal à 60 ans et du nombre d’annuités associées avec une prise en compte de la pénibilité et des maladies professionnelles », écrit l’union de la gauche dans son programme.

Depuis la proposition de Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2022, la mesure a évolué. « En termes d’annuités, ce ne serait sans doute plus 40, car cela coûterait 80 milliards d’euros, c’est infaisable », reprend Simon-Pierre Sangayrac.

« Ce qui est réalisable, en revanche, c’est une retraite à 60 ans en discutant du nombre d’années de cotisation (41, 42, 43 ?) et avec la montée en puissance de mesures type clause du grand-père. C’est-à-dire qu’on étalerait dans le temps la baisse de l’âge de départ, de manière à lisser les effets d’une réforme. »

Pour la financer, le NFP envisage une surcotisation sur les hauts salaires et, là encore, une contribution des revenus qui échappent aujourd’hui à la cotisation (dividendes, rachats d’action, intéressement, participation).

Aux détracteurs qui leur reprochent de vouloir « raser gratis » selon les termes de Gabriel Attal, les auteurs du programme du Nouveau Front populaire répondent qu’il est possible d’actionner nombre de leviers pour faire entrer des recettes dans les caisses. Une réflexion qui touche l’ensemble du système de protection sociale et qui ne fait que commencer.

 


05/07/2024

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