Smic à 1 600 euros : qui va payer ?

Une hausse du Smic entraînerait-elle mécaniquement des pertes d’emploi, de compétitivité et de recettes pour l’Etat ? Les études livrent des enseignements beaucoup moins alarmistes.

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C’est l’un des piliers du programme du Nouveau Front populaire (NFP) en matière de pouvoir d’achat : un Smic net à 1 600 euros, soit une hausse de 14,4 %. Les conditions d’indexation sur l’inflation vont conduire à une augmentation automatique de 2 % en août. Il s’agit donc d’un coup de pouce de l’ordre de 12 %.

Les motivations sont claires : avec 1 398,70 euros par mois, difficile d’avoir une vie décente. Surtout lorsque sont prises en compte les dépenses contraintes qui représentent près du tiers de ce que doivent payer les 20 % des ménages les plus pauvres selon l’Insee.

Et encore, « pour les plus démunis d’entre eux, la part du budget contraint, notamment le loyer, est bien plus élevée et, pour certains, ce qui reste à la fin du mois est quasiment nul »précise l’Observatoire des inégalités. Sur le plan social, une hausse s’impose.

 

Il suffit de jeter un œil sur les données Eurostat, en parité de pouvoir d’achat afin d’éliminer les différences liées au niveau des prix, pour s’en convaincre. A l’exception de Malte, la France est, avec le Luxembourg, le pays de l’Union européenne dans lequel le salaire minimum a le moins augmenté au cours des dix dernières années (+ 23 %), bien moins qu’en Belgique (28 %), en Irlande (32,1 %), en Allemagne (39,5 % depuis 2015), sans même parler de l’Espagne (75,7 %).

C’est bien gentil d’être généreux, répondent les économistes libéraux, mais il n’y a pas de repas gratuit en économie. Quels convives vont payer ? Le débat suscité par la mesure a apporté trois réponses : les demandeurs d’emploi, les entreprises, l’Etat. Qui réglera la plus grosse addition ?

Peu d’effets négatifs sur l’emploi

Les premiers perdants de la hausse du Smic seraient toutes celles et ceux à la recherche d’un emploi. Elle détruirait un demi-million d’emplois selon le futur ex-Premier ministre Gabriel Attal« Le Smic à 1 600 euros gèlera des millions de projets d’embauche et nous fera renouer avec le chômage de masse », alerte de son côté le Medef qui, dans un communiqué publié le 8 juillet, qualifie la mesure de « revalorisation brutale ».

Eric Heyer, économiste à l’OFCE, a de son côté évalué la perte d’emplois liée à une augmentation de 12,4 % du Smic à 322 000 emplois. C’est en ne tenant compte que de ce genre de calcul et en « poussant » un peu les chiffres que Gabriel Attal annonce une perte de 500 000 emplois.

Mais l’effet relance de la consommation liée à la hausse du pouvoir d’achat permet de créer 142 000 emplois. Et l’accroissement de la part des salariés au Smic permet aux entreprises de bénéficier de plus d’allègements, ce qui aboutit à la création de 151 000 emplois. L’effet global se traduit donc par une perte de seulement 29 000 emplois.

Néanmoins, l’économiste précise que ses calculs sont réalisés « à législation inchangée ». Or, devant le Medef, l’insoumis et ex-président de la commission des finances à l’Assemblée Eric Coquerel et le député socialiste Boris Vallaud ont bien précisé que les entreprises qui seraient confrontées à ce genre de problèmes seraient aidées.

Qui plus est, les calculs d’Eric Heyer supposent qu’au final, compte tenu des effets de diffusion de la hausse du Smic sur les autres salaires, le coût du travail augmentera pour les entreprises. 

« Notre modèle montre que lorsque le Smic augmente de 10 %, les salaires montent de 1,1 %, précise Eric Heyer. Mais je reconnais que ce chiffre ne fait pas consensus parmi les économistes. »

Effectivement, l’économiste Pierre Concialdi aboutit à une conclusion différente dans une note récente publiée par l’Ires. Après toutes ces années d’allègements de cotisations sociales, la France se singularise en effet par un coût de la main-d’œuvre très faible au niveau du salaire minimum.

« Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, le coût de la main-d’œuvre pour un salarié au salaire minimum est supérieur de plus de 20 % au coût français, et cet écart est d’environ 30 % avec la Belgique, l’Irlande ou l’Allemagne », compare l’économiste.

Ainsi, en prenant l’hypothèse d’une hausse de 15 % du salaire minimum, le premier impact est d’accroître le coût du travail pour les entreprises mais aussi, dans le même temps, avec plus de salariés au Smic, de bénéficier d’une baisse des cotisations patronales.

Contrairement aux résultats cités ci-dessus de l’OFCE, ici le second effet l’emporte sur le premier, « on observe, d’un point de vue macroéconomique, une baisse du coût moyen de la main-d’œuvre », constate Pierre Concialdi. Et le résultat tient bien compte des effets d’entraînement sur les salaires plus élevés de la hausse du Smic.

Certes, un calcul macroéconomique ne signifie pas que ce sera le cas pour toutes les entreprises. Mais des simulations effectuées sur des sociétés de moins de dix salariés montrent que l’impact reste faible.

Les résultats des études empiriques

Selon la synthèse proposée par les économistes Cédric Durand et Léo Malherbe, les études économiques empiriques ne conduisent pas à conclure qu’une hausse du salaire minimum conduit systématiquement à des pertes d’emplois.

Que l’on se situe aux Etats-Unis, en Ontario (Canada) ou dans le canton de Genève, l’introduction d’un Smic ou bien son augmentation conséquente n’ont pas eu d’effets négatifs sur l’emploi.

Les études économiques empiriques ne conduisent pas à conclure qu’une hausse du salaire minimum conduit systématiquement à des pertes d’emplois

Des études régulièrement publiées au Royaume-Uni, en 2016 et en 2019 qui présentent des synthèses pour l’ensemble des pays développés, pointent des impacts très faibles. De fait, les hausses récentes et importantes du salaire minimum entre le second semestre 2018 et le premier semestre 2024 de 36 % en Allemagne, de 54 % en Espagne, n’ont pas eu d’effets négatifs sur l’emploi.

En fait, soulignent Cédric Durand et Léo Malherbe, les hausses du Smic commencent à avoir un effet sur les créations de postes quand le salaire minimum atteint les 81 % du salaire médian – sans que cela corresponde à une règle d’or car il a dépassé ce niveau en Espagne sans effet négatif sur l’emploi. Quoi qu’il en soit, les 1 600 euros resteraient en dessous des 81 % du salaire médian français.

Peu de risque sur la compétitivité

Autre argument massue des opposants à une hausse du salaire minimum : quand bien même les entreprises ne détruiraient pas quantité d’emplois, ce sont elles qui paieront la facture en perdant de la compétitivité du fait de la hausse de leurs coûts. Que ce soit directement, par l’augmentation de la masse salariale, ou bien indirectement, parce qu’elles achèteront des intrants à d’autres entreprises qui auront vu leurs coûts augmenter.

Sur son blog, l’économiste Clément Carbonnier renvoie à une étude du Conseil d’analyse économique qui permet de clarifier cet axiome :

« Pour les 19 secteurs les plus exportateurs, la part des salaires inférieurs à 1,1 Smic est quasi nulle (à la fois en direct et indirect), la part des salaires inférieurs à 1,6 Smic représente environ 3 % des coûts de production en direct et 6 % en indirect. La hausse du Smic ne présente donc pas de risque relatif à la compétitivité internationale de l’industrie française », conclut le chercheur.

Des salariés mieux payés sont moins absents, en meilleure santé et plus productifs. La hausse du Smic sera en partie compensée par des gains de productivité

De plus, ajoutent Cédric Durand et Léo Malherbe, des salariés mieux payés sont moins absents, en meilleure santé et plus productifs. La hausse du salaire minimum sera en partie compensée par des gains de productivité. 

C’est l’Etat qui paye

Mais l’analyse de Pierre Concialdi citée plus haut désigne en creux un autre payeur autour de la table. Car si les entreprises voient finalement leurs coûts diminuer, c’est parce que l’Etat se voit privé de recettes. Réagissant à la note de l’Ires sur le réseau social X, l’économiste Clément Malgouyres commente ainsi :

« Intéressant. Le mécanisme semble être une hausse des allègements de cotisations patronales et donc in fine un manque à gagner pour les administrations publiques non ? »

La réponse est oui. Une perte de recettes que Clément Carbonnier évalue à hauteur de 10 milliards d’euros une fois les évolutions salariales entre 1 et 3,5 Smic prises en compte. Les allègements feraient perdre 21 milliards d’euros – un ordre de grandeur confirmé par l’économiste libéral Stéphane Carcillo – ce qui représente le coût brut de la mesure.

En s’appuyant sur les estimations du Groupe d’experts sur le Smic des effets de diffusion d’une hausse du salaire minimum sur les niveaux supérieurs, la hausse des cotisations salariés (5 milliards), des cotisations employeurs (3 milliards) et le moindre accès à la prime d’activité (économie de 2,5 milliards), soit un coût total de 10,5 milliards en manque à gagner de recettes publiques.

La hausse des salaires provoquera une hausse des recettes de l’impôt sur le revenu et celle du pouvoir d’achat, plus de consommation et donc plus de TVA

Mais le bilan ne s’arrête pas là en matière fiscale. La hausse des salaires provoquera une hausse des recettes de l’impôt sur le revenu et celle du pouvoir d’achat, plus de consommation et donc plus de TVA. Il est donc difficile de proposer une facture globale en ce qui concerne l’impact de la hausse du Smic sur le solde des prélèvements obligatoires mais, de fait, cela coûtera plusieurs milliards.

« Il faut donc réfléchir à dégonfler ces allègements pour redonner des capacités de financement à l’État », répond Clément Carbonnier. Mais alors, le coût pour les entreprises sera-t-il plus élevé ?

« Evidemment il faut faire attention à des hausses de coût très rapides » précise-t-il. Mais « à moyen terme (ou de manière lissée) une hausse du coût du travail n’est pas un problème ».

L’économiste Michael Zemmour abonde :

« Peu d’entreprises peuvent encaisser de gros chocs. Mieux vaut procéder par étapes et prévoir la hausse du Smic sur deux ans par exemple, cela en réduit l’impact sur les entreprises et étale le coût pour les finances publiques. »

En 2023, le total des allègements de cotisations sociales représentait le montant faramineux de 87,9 milliards d’euros. En réduisant cette somme de quelques milliards sur deux ans, la situation resterait largement gérable.

La hausse du Smic prévue par le Nouveau Front populaire est nécessaire socialement. Ses impacts supposément négatifs sur l’emploi, la compétitivité des entreprises et le coût du travail relèvent plus des représentations libérales que de la réalité économique. Parce qu’à la fin, c’est l’Etat qui supporte le coût de la mesure, ce qui plaide pour un étalement de la hausse. Pas pour sa remise en cause.

 

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/smic-a-1-600-euros-va-payer/00111839



18/07/2024
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