Réforme de l'assurance-chômage : "Des mesures qui ne régleront pas le problème du chômage de masse"
ANALYSE - Présentée comme une réponse au chômage de masse, la réforme de l'assurance-chômage, annoncée mardi 18 juin, a réuni contre elle les partenaires sociaux, des organisations syndicales aux associations patronales. Mais peut-elle constituer une incitation à réduire l'inactivité ? Eléments de réponse.
"Douze mesures pour aider chacun à retrouver un emploi durable et choisi." C'est ainsi que, de la dégressivité de l'indemnisation chômage des salaires supérieurs à 4.500 euros brut à la mise en place d'un bonus-malus pour les entreprises de sept secteurs particulièrement gourmands en contrats courts, en passant par le relèvement du seuil d'accession à l'assurance chômage, Edouard Philippe a présenté mardi la réforme de l'assurance-chômage.
Une réforme hautement critiquée, aussi bien par les syndicats que le patronat, pour des raisons différentes, reprise en main par l'exécutif après l'échec des négociations entre les partenaires sociaux. L'objectif majeur est de "mettre fin au chômage de masse", pour reprendre les termes du Premier ministre Edouard Philippe, qui a précédé sa ministre du Travail, Muriel Pénicaud, mardi 18 juin devant la presse, à Matignon. Mais aussi d'économiser 3,4 milliards d'euros sur les dépenses de l'Unédic, l'organisme gestionnaire de l'assurance-chômage, d'ici la fin de l'année 2021.
Quatre objectifs pour cela : décourager le recours abusif aux contrats courts, dans sept secteurs où les recours y sont les plus forts, en instaurant un bonus-malus sur les cotisations d'assurance-chômage. Mettre en place une dégressivité pour les plus hauts salaires qui, à partir de 4.500 euros brut mensuels, verront leur indemnité amputée de 30% à compter du 7e mois d'indemnisation. Proscrire les cas où le revenu du chômage dépasse le revenu du travail à temps plein, en calculant l'indemnité sur le salaire mensuel moyen et non "sur les seuls jours travaillés". Accompagner "plus efficacement les chômeurs vers le travail", en mobilisant 4.000 salariés de Pôle emploi sur cette tâche, dont 1.000 embauches sur trois ans, en ouvrant l'assurance-chômage aux salariés démissionnaires et aux travailleurs indépendants.
"Le soupçon du chômage volontaire"
Ces annonces viennent compléter ce que la sociologue Lynda Lavitry appelle "le triptyque des politiques d'activation", après la réforme du code du travail à l'automne 2017 et la loi sur l'avenir professionnel en 2018, et qui partent du principe que les chômeurs ont des droits mais aussi des devoirs. Et qui, regrette cette spécialiste de l'accompagnement des chômeurs auprès de LCI, "font peser la réduction des dépenses sur les demandeurs et reposer la responsabilité de leur situation sur leurs épaules". Durcir les conditions d'accès à l'assurance-chômage, instaurer une dégressivité des indemnités pour les cadres, traquer les rares cas où le chômage offre des revenus supérieurs à ceux qu'offriraient le travail... Autant de mesures qui "grignotent des espaces entiers de protection des chômeurs" et qui sont "sous-tendues par le soupçon du chômage volontaire".
Avec une réelle efficacité sur le chômage de masse ? Pas vraiment, si l'on en croit plusieurs experts interrogés par LCI. Pour Lynda Lavitry, l'ensemble de ces mesures donne l'impression de s'adresser "à une catégorie de personnes qui représentent très peu". En effet, les dernières études conduites par Pôle emploi indiquent que 88% des chômeurs cherchaient un emploi." Et de s'interroger sur la pertinence de vouloir passer de rallonger la durée de cotisation pour accéder à l'assurance-chômage : "Seul un chômeur sur deux inscrit à Pôle emploi est indemnisé", fait-elle valoir. Manière de souligner que cette mesure, si elle avait un caractère incitatif, ne favoriserait pas le retour à l'emploi des chômeurs qui ne sont pas indemnisés.
La dégressivité de l'indemnisation des hauts revenus pose également question. Interrogé alors que la mesure en était à ses balbutiements, l'économiste de l'OFCE Eric Heyer s'était étonné que l'on accorde pareille attention à ces actifs, même au nom de la "justice sociale", alors que le gouvernement avait observé que, plus l'indemnité chômage était élevée, moins ils avaient tendance à retrouver un emploi : "Le chômage des cadres est en-dessous de 4%, on est donc en situation de plein emploi." Au contraire, il avait même souligné un risque de ce point de réforme - qui épargnera tout de même les seniors de plus de 57 ans : "Si vous diminuez l'indemnité d'un cadre bien payé, il y a un risque qu'il soit obligé de déménager. Or, leur capacité à retrouver un travail rapidement est d'abord liée à la facilité qu'ils ont de rester proches des centres de décision où leur profil peut séduire des entreprises."
La dégressivité, un frein au retour à l'emploi ?
Un risque qu'identifie également Lynda Lavitry : "La logique qui imprègne cette réforme consiste à augmenter la mobilité kilométrique ou professionnelle des demandeurs d'emplois, faire diminuer les prétentions salariales, mais aussi inciter les personnes à accepter tout emploi qui se présente, sans tenir compte de leurs qualifications, de leur mobilité et encore moins de leurs envies." Eric Heyer complétait ainsi : "Vous encouragez à accepter à prendre un travail qui n'est pas en rapport avec les compétences et les qualifications. Et là, c'est la catastrophe : avec un effet domino, vous privez une personne moins qualifiée, à qui aurait pu revenir ce job-là."
La question de la dégressivité est regardée avec d'autant plus de méfiance par Lynda Lavitry qu'elle cite une étude de l'Insee datant de 2001, et qui avait analysé les effets de la baisse des indemnités sur le retour à l'emploi, déjà mis en place depuis 1992 avant d'être révolu, neuf ans plus tard : "Elle montrait que la dégressivité aurait pour effet de retarder le retour à l'emploi". Pour quelles raisons ? La dégressivité avait un effet positif sur les personnes les mieux qualifiées qui, grâce à leur diplôme, "pouvaient davantage choisir le moment où elles retrouvaient du travail", analysait l'économiste Lynda Khoury auprès des Echos en 2017. Là où les seniors et les profils moins qualifiés étaient davantage desservis, étant éloignés du marché du travail par cette dégressivité.
"Le principal problème, poursuit Lynda Lavitry, réside dans le manque de travail dans notre pays. La question des offres non pourvues sont régulièrement agitées par des responsables politiques mais, même remplies, elles ne résoudraient pas le problème du chômage de masse et le manque d'appariement entre l'offre et la demande de travail." Un constat qui conduit à poser, à nouveau, la question de la formation des chômeurs, à laquelle le gouvernement compte affecter 15 milliards d'euros et, notamment, 4.000 agents de Pôle emploi dont 1.000 recrutements. "Ça peut donner un peu d'oxygène, mais les logiques de rentabilité resteront les mêmes. Pôle emploi est dans une logique de course aux chiffres, dans l'obligation de réduire son nombre d'inscrits. Or, pour améliorer l'adéquation entre l'offre et la demande d'emploi, il faut pouvoir agir en profondeur, autant auprès de l'entreprise que du chômeur." Un objectif pour lequel l'exécutif, qui a tout misé sur la formation des chômeurs, sera regardé avec beaucoup de vigilance.