Procès Waffenkraft
Procès Waffenkraft : le mea culpa des quatre néonazis
Laure Daussy · Mis en ligne le 27 juin 2023 · Paru dans l'édition 1614 du 28 juin
Pour la première fois en France comparaissent devant une cour d’assises quatre jeunes néonazis, accusés d’avoir préparé des attentats en France, sur le modèle des massacres perpétrés par Anders Breivik en Norvège ou Brenton Tarrant, à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Ces jeunes ont créé un groupe baptisé Waffenkraft (« puissance de feu » en allemand), et visaient des personnalités, notamment Jean-Luc Mélenchon et le rappeur Médine, ou des organisations comme le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) ou la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Récit d’une première semaine d’audiences au Palais de justice de Paris.
Notez bien, il n’a pas une coupe « nazie », mais « viking ». C’est une des précisions de Me Fanny Vial, avocate d’Alexandre G., 22 ans au moment des faits. Vêtu d’une chemise à carreaux, il écoute, impassible, les débats depuis son box. S’il est détenu, c’est qu’il a enfreint son contrôle judiciaire. Ancien gendarme, il est l’un des deux principaux accusés du groupe Waffenkraft. Les trois autres comparaissent libres, et tous sont poursuivis pour « association de malfaiteurs terroriste » et encourent jusqu’à trente ans de prison. Certains des accusés étant mineurs au moment des faits, le procès devait se tenir à huis clos, mais l’avocat général a réclamé un procès public : « La cour est saisie pour la première fois d’un dossier terroriste dit d’ultradroite. Une menace particulière, nouvelle, inquiétante, grandissante qui est celle des tueries de masse », a-t-il insisté.
Depuis 2017, 10 attentats de cette mouvance ont en effet été déjoués, et celui-ci en fait partie. Le groupe s’est radicalisé peu à peu en communiquant via la messagerie Discord. Leurs échanges y sont violemment antisémites, xénophobes et suprémacistes. On y discute de références de l’ultradroite, comme Les Carnets de Turner, considérés comme la bible des suprémacistes blancs et qui font l’apologie de l’épuration ethnique, ou encore Siege, recueil de textes du néonazi américain James Mason qui rendaient hommage à Adolf Hitler. Les idées sont « accélérationnistes », elles prônent la destruction du monde occidental pour installer plus rapidement un État fasciste.
Des proches consternés
Lors de cette première semaine d’audiences, ce sont pourtant des repentis qui défilent à la barre. « J’ai honte d’être présent devant vous aujourd’hui et d’avoir pu penser ce genre de choses », assure de son côté Gauthier F., un autre accusé. Une photo de lui effectuant une quenelle devant Auschwitz est projetée à l’audience.
Pour Henri*, l’autre accusé principal, mineur au moment des faits et créateur du groupe Discord, Waffenkraft était d’abord un moyen de « rencontrer enfin des gens normaux, avec qui [il pouvait] avoir de vraies discussions ». Chemise rose à manches courtes, mains jointes derrière le dos, il vient à la barre témoigner d’une enfance difficile, où la « domination » était le seul langage parlé à la maison. Alors l’extrême droite fasciste, « son ordre, son côté social faisaient écho à des choses qui me manquaient. Le nazisme a répondu à beaucoup de mes interrogations. C’était facile, c’était déjà écrit », explique-t-il. Dans le groupe, beaucoup disent avoir vécu une enfance chaotique. L’un perd sa mère à 9 ans, plusieurs sont battus par leur père, un autre a une mère suicidaire.
À la barre se relaient d’ailleurs parents et proches consternés, qui ne comprennent pas la radicalisation de leur progéniture. Les parents d’Alexandre G. semblent ainsi dépassés par la dérive de leur fils. La mère, agent d’entretien, assure : « Je suis tombée des nues. Je ne reconnais pas mon fils Alexandre. C’était quelqu’un de gentil, de sociable. » Qui aurait basculé, comme il l’explique lui-même, après les attentats du 13 Novembre. « Je ne me sentais pas, psychologiquement, de passer à l’acte », dit-il désormais, assurant qu’il n’aurait jamais pu aller plus loin.
L’enquête prouve la volonté de passer à l’acte
Toute l’enquête tend pourtant à démontrer le contraire. Lorsque Alexandre G. est arrêté, en 2018, on retrouve chez lui, en plus des armes, près de 1 000 munitions et de quoi fabriquer des engins explosifs et des détonateurs. Il a également entreposé des armes dans une armoire forte – kalachnikov, fusil à pompe, carabine – chez son père, cuisinier, malgré des protestations de ce dernier. Dans son ordinateur, les enquêteurs trouvent deux textes : dans le premier, il explique comment il va passer à l’acte, et rend hommage, notamment, à Anders Breivik, auteur des attentats d’Oslo et d’Utoya qui ont fait 77 morts. Dans l’autre, il donne la date du 13 novembre 2018, pour venger les attentats de 2015.
L’analyse de ses recherches Internet montre aussi qu’Alexandre G. recherchait des cibles typiques de l’ultradroite : mosquées, ministères, Crif, ou encore Parlement européen. Dans les échanges Discord, le groupe évoquait un concert du rappeur Médine, l’attaque d’un rassemblement de Mélenchon et de la Licra. Il y a surtout cet élément clé de l’accusation : une rencontre en forêt, à Tours, lors de laquelle le groupe s’entraîne à tirer à balles réelles, preuve pour les enquêteurs de la réalité de leurs intentions. Les tirs retentissent dans la salle d’audience, quand plusieurs des vidéos sont diffusées – les accusés mitraillent des cibles en pleine forêt, parfois de nuit. Au passage, ils en profitent pour immortaliser cette escapade sylvestre d’un salut nazi.
Seraient-ils allés jusqu’au bout ? Le degré d’organisation et de motivation du groupe était tel, quoi qu’il en soit, que l’un d’entre eux, Évandre A., a prévenu les gendarmes pour « tenter d’empêcher un passage à l’acte ». Tous jurent aujourd’hui qu’ils n’auraient jamais mené leurs projets à bien. Se sont-ils vraiment éloignés de l’idéologie néonazie ? À la question du président, un peu ironique, « Vous êtes prêt à avoir un enfant de gauche ? », Henri répond : « Peut-être qu’il sera même homosexuel, je ne sais pas. » L’avocat général lui rappelle une conversation qu’il avait eue avec des amis, dans laquelle il dit « être allé choper des nègres ». Il rétorque : « Et alors ? », comme si le terme ne posait pas de problème. « Ils auraient pu être jaunes, verts ou bleus, ça aurait cogné pareil. Je suis quelqu’un de traditionnel, qui croit fermement que la religion, la famille, la civilisation sont des éléments qui ne peuvent pas être mis de côté. » L’audience doit se poursuivre jusqu’au 30 juin.
*Le prénom a été changé.