Si la formulation se veut performative, il n’est fait mention nulle part du fait que le télétravail serait «obligatoire». Or, aiment à rappeler certains juristes et syndicats, le Conseil d’Etat soulignait en octobre 2020 que le protocole constituait «un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur». Partant de quoi il serait loin d’avoir la même force qu’un texte de loi ou un article inscrit dans le code du travail.
C’est ainsi qu’en novembre 2020, lors du second confinement, bien des entreprises firent fi de la demande du gouvernement de réinstaurer un télétravail intégral quand c’était possible. Depuis, le recours à ce mode d’organisation a considérablement reculé : en novembre, seul un salarié sur cinq avait été au moins un jour en télétravail, selon la Dares, la direction des recherches du ministère du Travail.
Fort de cette expérience malheureuse, le gouvernement compte cette fois serrer la vis pour de bon, en agitant une menace financière à destination des patrons qui ne «joueraient pas le jeu» – pour reprendre l’expression consacrée. Ainsi, la ministre du Travail a annoncé ce jeudi matin que les entreprises récalcitrantes pourraient écoper d’une amende allant jusqu’à 1 000 euros par salarié «dont la situation n’est pas conforme», dans la limite de 50 000 euros. La mesure devrait être intégrée, via un amendement (dont la teneur exacte est encore inconnue), au projet de loi sur le pass vaccinal qui sera discuté à compter du 3 janvier au Parlement. Selon Elisabeth Borne, cela permettra à l’inspection du travail de sanctionner plus rapidement et plus efficacement les rétifs. «Je souhaite un système plus rapide et donc plus dissuasif en permettant à l’inspection du travail de pouvoir prononcer des sanctions sans attendre la procédure judiciaire», a-t-elle expliqué sur LCI.
Signe d’une inflexion notable du gouvernement sur le sujet, l’introduction de cette amende administrative répond à une demande formulée (il y a pas moins de treize mois, tout de même) par la CGT-TEFP, premier syndicat des inspecteurs du travail. De quoi satisfaire ses représentants aujourd’hui ? «Ça reste un outil assez long à mettre en œuvre, parce qu’il y a toute une procédure», tempère sa secrétaire nationale, Alexandra Abadie. Si le mot «amende» convoque, chez le péquin lambda, l’image d’un carnet à souche et surtout celle d’une sanction immédiate, la syndicaliste affirme que dans le cas de ces amendes administratives, la procédure pourra durer jusqu’à six mois. Dans l’intervalle, l’employeur aura pu faire valoir des arguments justifiant qu’il ne recoure pas au télétravail. «A partir du moment où on n’a pas de texte précis qui dit que le télétravail est obligatoire, on ne peut pas se baser que sur l’absence de télétravail pour le sanctionner. Il faut qu’on ait constaté sur place qu’il n’y a pas d’autres mesures», précise Alexandra Abadie. Sur LCI, Elisabeth Borne a effectivement suggéré que l’amende serait infligée aux entreprises qui ne respectent pas un ensemble de règles, celles-ci comprenant la mise en œuvre du télétravail, mais aussi la distanciation physique ou le port du masque.
Effectifs insuffisants
Toutes ces choses mises bout à bout rendent Alexandra Abadie sceptique quant au fait de permettre «une régularisation de la situation dans l’immédiat». «Or, ajoute-t-elle, on parle d’un risque d’exposition immédiate qui demande de pouvoir soustraire le salarié immédiatement à ce risque d’exposition. C’est pourquoi on demande d’avoir la possibilité d’arrêter l’activité le temps que l’entreprise mette en œuvre des mesures de prévention.» La syndicaliste souligne par ailleurs que les agents de contrôle sont en effectifs insuffisants pour mener à bien leur mission, avec un inspecteur du travail pour 11 000 salariés. «Annoncer 5 000 nouveaux contrôles dans la presse, c’est facile, mais sur le terrain, on n’a pas les moyens.» Selon elle, les 28 000 interventions sur la thématique sanitaire menées entre janvier et novembre 2021 ont donné lieu à seulement 110 mises en demeure.
Source : https://www.liberation.fr/economie/social/teletravail-obligatoire-la-mise-a-lamende-des-patrons-refractaires-sannonce-difficile-20211230_AMRXRFKMMVHV3FLPCZJ6BFNKIA/