L’inspection, premier plan social de la nouvelle ministre du Travail
La nomination de Muriel Pénicaud, ex-DRH de Dassault et Danone, livre un message clair : les "réformes structurelles" seront menées au pas de charge. L’inspection du travail, soumise à de profondes coupes d’effectifs, est en première ligne.
Moins 16 % de postes à Paris, moins 10 % en Île-de-France, moins 13 % en région Grand-Est… Si ce n’est pas une mise en coupe réglée de l’inspection du travail, cela y ressemble fortement. En Île-de-France, la nouvelle a été annoncée le 2 mai aux représentants du personnel, soit entre les deux tours de la présidentielle. Les ministres passent mais, en silence, pièce par pièce, la casse de l’inspection continue. Loin d’infléchir la tendance, le nouveau gouvernement et sa ministre du Travail nommée mercredi 17 mai, Muriel Pénicaud, ex-DRH chez Dassault et chez Danone, présagent au contraire de son aggravation. Désabusés, les agents de l’inspection espèrent un mouvement de solidarité plus large avec leur profession.
En attendant, ce jeudi, soit au lendemain de la nomination de la successeur de Myriam El-Khomri rue de Grenelle, les salariés du ministère du travail se sont mobilisés un peu partout en France. « Ce n’était pas délibéré, mais le timing est bon », constate Julien Boeldieu, le secrétaire national de la CGT au sein de cette administration [1]. Un appel avait été lancé par une intersyndicale composée de l’intégralité des organisations qui y sont implantées [2]. De quoi donner l’occasion à la nouvelle ministre, qui sera probablement amenée à diriger les prochaines réformes du code du travail et de l’assurance chômage, de démontrer ses qualités en matière de « dialogue social ».
À Aubervilliers, la Direccte occupée
À Paris, un peu esseulés, les agents organisaient un barbecue sur la place Stalingrad pour s’offrir un peu plus de visibilité. Avant une manifestation régionale devant le siège de la Direccte (les services déconcentrés du ministère) à Aubervilliers, qui a tourné en occupation du site, finalement levée en fin de soirée. Les personnels demandaient à rencontrer au plus vite leur nouvelle ministre, et que celle-ci revienne sur les baisses d’effectifs. En Île-de-France, 49 postes d’inspecteur ou contrôleur sur 468 doivent être supprimés d’ici la fin de l’année, dont 24 à paris. Des programmes similaires seraient en préparation dans toute la France.
« L’annonce de ces suppressions de postes a été violente, se désole Émelyne, contrôleuse puis inspectrice à Paris depuis dix ans, syndiquée chez Sud-Travail. Aujourd’hui, on est déjà en sous-effectif, dans l’urgence permanente. Dans le même temps, sur le terrain, on voit sans cesse des salariés épuisés par leur travail. C’est intolérable de supprimer encore des postes. Si nous ne sommes plus là pour limiter les abus, ça va être l’horreur ! »
2.000 agents pour 18 millions de salariés
« Nous devions déjà couvrir des secteurs de 10.000 salariés chacun,confirme sa collègue Louise, une contrôleuse de trente-et-un ans, membre de la CGT. Les collègues sont dépassés par la masse de travail, et les salariés ne parviennent plus à nous joindre. On est au bout de ce que l’on peut faire. En supprimant encore des postes, ils attaquent les os ! » « Le ministère du Travail subit de plein fouet les conséquences des politiques d’austérité et des réorganisations, déplore l’intersyndicale locale dans un communiqué. Entre 2009 et 2017, les effectifs des Direccte ont diminué de près de 20 %, passant de 9.826 à 7.983 [agents]. »
Les inspecteurs et contrôleurs sont parmi les plus affectés par cette hémorragie, qui touche toutes les catégories de personnel du ministère. On compterait aujourd’hui à peine 2.000 agents de contrôle pour 18 millions de salariés concernés. « La nouveauté, détaille Julien Boeldieu,c’est qu’ils ne se contentent plus de ne pas remplacer les départs en retraite. Lorsqu’un poste est vacant, par exemple quand un agent est muté, ils ferment le poste. Cette année, il n’y a que 28 postes ouverts au concours pour toute la France, alors qu’il y en a 27 fermés rien que sur la région Grand-Est ! »
Du contrôle… au conseil aux entreprises
Une neutralisation pure et simple de l’inspection est-elle en cours ? « Ils ne peuvent pas nous démanteler, car la France est signataire de la convention 81 de l’Organisation internationale du travail, relève Julien Boeldieu. Mais ils peuvent nous empêcher de fonctionner, nous orienter, transformer nos missions. » Outre les coupes au sabre dans les effectifs, l’inspection a vu son organisation évoluer ces dernières années. Tandis que les moyens affectés aux salariés diminuent, la hiérarchie demande, de plus en plus, aux inspecteurs de conseiller les entreprises.
« On cherche à nous transformer en service de conseil et d’audit, alerte Julien Boeldieu. Or le renforcement du conseil aux entreprises se fait au détriment du renseignement des salariés, qui est en train de disparaître », complète sa collègue Louise. La contrôleuse s’inquiète des conséquences des réformes passées et futures : « Il y a eu une réforme par an sous François Hollande ! D’une part on réduit sans cesse les droits des salariés. D’autre part, ce sont ces réformes qui rendent le code illisible. Nous sommes à peine formés, et n’avons même plus le temps d’assimiler les changements. »
Une lutte d’intérêt général
La perspective d’une nouvelle réforme, annoncée comme d’autant plus rapide qu’elle serait conduite par ordonnances, n’est donc pas pour rassurer les agents de l’inspection : « Un droit différent par entreprise, ce serait comme supprimer notre métier, estime Louise. On ne pourrait plus contrôler. » « On remet en cause toutes les institutions sur lesquelles les salariés peuvent s’appuyer pour faire valoir leurs droits, insiste Julien Boeldieu. L’inspection du travail, les institutions représentatives du personnel au sein des entreprises, les Prud’hommes... »
Confrontés à la mise en cause de leur métier, ainsi qu’aux attaques contre le code du travail, les inspecteurs se trouvent à la fois en première ligne, et isolés dans leur combat. « Le NPA, le PC ou LO publient quelques communiqués, note Julien Boeldieu. On a aussi été soutenus lors de l’affaire Tefal. Mais cela reste ponctuel. Pourtant, nous ne sommes pas les premiers concernés ! La solution passera par des luttes interprofessionnelles, notamment contre les ordonnances. » Pour Louise, il y a urgence : « Il faut y aller maintenant. Sinon, on va prendre cinq années de réformes. Ça serait terrible. »
source : http://www.regards.fr/web/article/l-inspection-premier-plan-social-de-la-nouvelle-ministre-du-travail