Dans un billet paru sur mon blog, j’avais montré qu’il n’y avait pas de minima de pension à 1 200 euros dans la réforme, mais simplement une revalorisation, relativement modeste de cette pension, aussi appelée minimum contributif ou Mico, qui ne concerne que certaines petites pensions de base des salariés du privé (celles liquidées à taux plein).
Je voudrais montrer ici que parmi les bénéficiaires de cette hausse du Mico, tout le monde ne va pas gagner d’argent : il y a des vrais-faux gagnant·e·s, des vrais perdant·e·s, et des « moindres gagnant·e·s ».
Je m’appuie pour cela sur Leximpact, un outil proposé par l’Assemblée nationale qui permet de simuler les conséquences d’une réforme des prestations sur le revenu des individus à partir de cas types. Je prends ici par simplicité le cas d’une personne célibataire, dont la pension est le seul revenu hors prestations ; en pratique, les cas sont bien plus variés car les ménages sont en couples, les conjoints ayant parfois des niveaux de pension très différents.
Les cas ne sont pas particulièrement représentatifs mais ils sont destinés à illustrer les mécanismes en jeu, et je discute par ailleurs du nombre de personnes qui seraient effectivement concernées. Trois situations problématiques se dégagent.
Une opération blanche pour les allocataires du « minimum vieillesse »
L’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), autrefois connue sous le nom de « minimum vieillesse », est une prestation dite différentielle, car elle vient « compléter » le revenu des ménages jusqu’à un montant cible (953 euros net actuellement selon le simulateur). Le problème des prestations différentielles, c’est que quand le revenu augmente, la prestation baisse du même montant.
Concrètement, pour une personne ayant une pension faible (par exemple 10 000 euros brut par an, soit 916 euros par mois), une revalorisation du minimum contributif de 1 000 euros par an (83 euros par mois, ce qui est proche du maximum prévu par la réforme d’Elisabeth Borne) sera entièrement absorbée par une baisse de l’Aspa du même montant.
Dans le tableau ci-dessous, en passant de la situation décrite dans la colonne de gauche à la situation décrite dans celle de droite, la personne gagne une pension brute de 1 000 euros, mais pas un centime de pouvoir d’achat, du fait de la baisse de l’Aspa de 1 000 euros.
Combien de personnes sont dans ce cas ? Difficile à dire précisément, mais le nombre est significatif. Parmi les allocataires du minimum vieillesse, 82 % avaient une pension au minimum contributif en 2016, selon la Drees (tableau 4). Cela ferait environ 500 000 allocataires percevant à la fois un minimum contributif et une prestation du minimum vieillesse en 2020.
Selon le rapport sur « les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites » du gouvernement : « Entre 15 et 20 % des bénéficiaires du minimum contributif voient leur pension relevée au niveau de l’Aspa, ils sont 5 % parmi les bénéficiaires du Mico majoré. »
Si la cible de la revalorisation des petites pensions est de l’ordre de 1,8 million de personnes, il y en aurait donc de l’ordre de 300 000 qui ne seraient pas des « gagnants » compte tenu de l’interaction avec l’Aspa.
Le gouvernement chiffre cette interaction à 100 millions d’euros en 2027 d’économies (à rapporter à la dépense de revalorisation des minima de pension, qui s’élève à 2,6 milliards), mais ces montants sont à préciser car les sommes mentionnées en haut de la page 83 de l’étude d’impact ne tombent pas juste.
Retraite minimum + minimum vieillesse + allocations logement : un tiercé perdant
Comme le montrent de nombreux travaux, il existe des effets d’interactions non désirables entre les bases ressources à partir desquelles sont calculées les différentes prestations sociales. Les pensions brutes, par exemple, sont prises en compte à la fois dans la base ressources de l’Aspa et des aides au logement (APL).
Résultat, si vous percevez l’Aspa, que votre pension brute augmente et que vous percevez également des aides au logement, vous perdez à la fois sur l’Aspa et sur les APL. Dans ces conditions, la revalorisation de pension annoncée se transforme… en baisse de revenu !
Par exemple, pour une pension annuelle qui passe de 10 000 euros à 11 000 euros, le revenu disponible baisse de 347 euros annuels (28 euros par mois).
Allocataire des aides au logement exclusivement : des gains rognés
Enfin pour les personnes locataires, éligibles aux aides au logement, mais dont le revenu est supérieur au plafond de l’Aspa, la hausse de la revalorisation du minimum contributif sera en partie érodée par la baisse des aides au logement.
Ainsi, une personne retraitée percevant une pension de 14 000 euros avant réforme et ayant obtenu une revalorisation de 1 000 euros (83 euros mensuels) ne verra ses revenus s’améliorer que de 652 euros (54 euros mensuels), du fait de la baisse des aides au logement.
Il est probable que ces cas soient de l’ordre de quelques centaines de milliers d’individus. C’est à la fois relativement peu à l’échelle de la réforme, et non négligeable si on tient compte du fait qu’il s’agit de retraités déjà très modestes.
On pourra également faire remarquer que le gouvernement s’est bien davantage attardé dans ses commentaires sur la prise en compte du congé parental pour les carrières longues (qui ne concerne que 2 000 à 3 000 personnes par an), mais qu’il s’est abstenu de documenter les cas de ces vrais-faux gagnants, en les intégrant d’office dans le décompte du 1,8 million de bénéficiaires du minimum contributif ce qui, on vient de le voir, est pour le moins inexact.
Michaël Zemmour est économiste, maître de conférences à l’université Paris-1 et chercheur au Liepp de Sciences Po.