Les ratés du conseil en évolution professionnelle
Lancé en 2014, ce dispositif gratuit destiné à aider les salariés, indépendants ou demandeurs d'emploi à affiner et concrétiser leur projet professionnel. Mais sa mise en oeuvre est brouillonne.
Depuis le 21 septembre, une campagne de communication s'affiche sur les murs et les écrans. Objectif: mettre en avant le Conseil en évolution professionnelle, dispositif créé par la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle.
Destiné aux salariés, indépendants et demandeurs d'emploi afin de les aider à mieux gérer leur carrière, ce bilan professionnel gratuit est réalisé par des organismes agréés comme Pôle emploi, l'Apec, le Fongecif, les Opacif et les missions locales. Les salariés n'ont pas besoin de l'accord de leur entreprise, le CEP se déroule hors temps de travail (sauf accord de branche ou d'entreprise). Quant au demandeur d'emploi, il peut en bénéficier à son initiative pour par exemple valider un projet de formation (dans le cadre du compte personnel de formation notamment) avec son conseiller Pôle emploi.
Deux ans après sa promulgation, où en est-on? Un rapport du Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Cnefop) s'est penché en avril dernier sur la question. Premier enseignement: les choses vont prendre du temps et il est encore difficile de mesurer la réalité de la mesure.
"A ce stade, les moyens humains consacrés au CEP par chacun des opérateurs sont difficiles à apprécier à une maille fine, car il est délicat, en période de déploiement, de distinguer les moyens dédiés sensu-stricto à la délivrance du CEP (service aux bénéficiaires) et les moyens consacrés à la mise en route de ce service", expliquent les auteurs. "Les effets du CEP ne seront pas immédiatement perceptibles [...] Il ne pourra que s'apprécier que dans le temps, qu'il s'agisse de l'impact [du dispositif ]sur les trajectoires professionnelles ou du développement constaté de l'autonomie des personnes", avance également le document.
Des prestations bâclées ?
Selon l'organisme, 732.195 personnes ont mobilisé un CEP en 2015 pour différents motifs. 33% d'entre eux souhaitaient un "diagnostic de situation professionnelle, une prise de recul" et 30% recherchaient un appui à l'élaboration et à la validation d'un projet professionnel précis. Les deux tiers de ces demandes émanant de demandeurs d'emploi, ce sont les conseillers Pôle emploi se sont chargés de la prestation. Et c'est là que le bât blesse...
"Le CEP se déroule en trois étapes: la première permet aux bénéficiaires d'appréhender leur situation professionnelle, ils obtiennent ensuite des conseils personnalisés pour définir une stratégie. Enfin, la troisième étape les aide à mettre en oeuvre leur projet et son financement", explique Jean-Baptiste Lafay, de Pôle emploi qui reconnaît que, pour le moment, peu de bénéficiaires ont dépassé la première phase du processus.
Si les conseillers Pôle emploi ont été formés au CEP, la mise en place semble en effet chaotique. Un collectif de psychologues du travail - eux aussi associés au projet et qui devraient s'installer progressivement au sein des agences Pôle emploi - estime d'ailleurs que l'organisme "bâcle" la mise en oeuvre du CEP. "Nous n'avons que très peu d'informations sur le projet et sur notre rôle", explique Yves Despaux, de l'association "Pôle-Psycho", qui revendique de fédérer 300 des 600 psychologues en poste à Pôle emploi.
Tensions chez Pôle emploi
Les membres du collectif dénoncent "la communication légèrement optimiste" faite autour du dispositif. "Les chiffres avancés par le Cnefop sont à relativiser car il suffit qu'un demandeur d'emploi soit reçu par un conseiller "formé" au CEP pour qu'il soit considéré comme ayant mené un CEP. C'est un peu léger", détaille l'une des membres du collectif. Pour Carole Fillion, psychologue en poste à Toulon, c'est le terme même de formation qui est à relativiser. "On ne peut pas dire que les conseillers ont été formés en interne, s'emporte-t-elle. Ils ont au mieux été informés des différentes procédures qu'ils allaient avoir à exécuter mais rien de plus."
Pour les 600 psychologues en poste à Pôle emploi, ce changement constitue une menace supplémentaire à l'endroit de leur activité, qu'ils jugent en danger. "La direction a beau mettre en avant le recrutement de 300 psychologues supplémentaires, nous n"y croyons plus vraiment car elle semble ne plus considérer notre métier", poursuit Yves Despaux. Ces professionnels regroupés dans des agences de services spécialisés (A2S) prennent en charge les demandeurs d'emploi qui ont besoin d'un suivi plus approfondi. désormais, ils seront attachés à une agence Pôle emploi et travaillerons seuls, ce qui les inquiète. "Moi seule, je vais perdre en compétences, ce sera un appauvrissement du service", dénonce Carole Fillion. "Nous craignons aussi que ce dispositif ne soit pas très "volontaire" mais imposé aux demandeurs d'emploi, ce qui serait contraire à sa philosophie", complète Yves Despaux.
Pour Jean-Baptiste Lafay, ces critiques sont "compréhensibles" mais il se veut rassurant. "Nous sommes dans une phase de test et nous allons identifier le meilleur mode de fonctionnement, comment associer au mieux psychologues et conseillers. Mais réaliser un CEP ne sera en rien une obligation", détaille-t-il.
Reste que pour le moment, il le reconnait, "tout le monde n'a pas vraiment accès au CEP, de manière égale, en fonction des régions et du niveau de préparation dans les agences. Il faut que le dispositif soit plus connu." Par les bénéficiaires. Mais pas seulement.
source : http://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/formation/les-rates-du-conseil-en-evolution-professionnelle_1834644.html