L’allocation sociale unique, ou quand Michel Barnier recycle une fausse bonne idée

Le Premier ministre envisage de fusionner plusieurs prestations sociales (RSA, allocations chômage, aides de la CAF). Loin d’être nouvelle, l’idée est dangereuse car à budget constant, elle ferait de nombreux perdants.

 

La politique finalement, c’est un peu comme la chimie. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » C’est le cas de la dernière idée de Michel Barnier au sujet des prestations sociales. Interrogé par La Tribune dimanche le 6 octobre, le Premier ministre a assuré qu’il fallait que le travail paie plus que l’addition des allocations.

Michel Barnier entend ainsi mettre en place une allocation sociale unique (ASU) qui fusionnerait plusieurs prestations sociales1. Le chef du gouvernement a précisé que le chantier pourrait prendre plusieurs années, sans pour autant donner de détails sur les prestations sociales concernées.

Un regard en arrière peut toutefois donner la tendance : en 2022, alors candidat à la primaire des Républicains, Michel Barnier soutenait l’idée de fusionner le revenu de solidarité active (RSA), les allocations chômage ainsi que les autres aides versées par les Caisses d’allocations familiales (Caf) et les Mutualités sociales agricoles (MSA). Dans cette hypothèse, les aides vieillesse (ASPA) et handicap (AAH) étaient exclues de ce regroupement.

Une aide unique, marotte politique

D’autres avant lui avaient déjà évoqué déjà l’idée d’une allocation sociale unique. En 2016, sous François Hollande, le député Christophe Sirugue (PS) proposait, dans un rapport, de repenser les minima sociaux et de créer une « couverture socle commune ».

« Mais l’initiative s’inscrivait dans une démarche progressiste, se souvient Timothée Duverger, ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux et chroniqueur pour Alternatives EconomiquesSirugue accordait par exemple une importance particulière à l’intégration des jeunes [proposant d’étendre le RSA aux 18-25 ans, NDLR]. »

Le rapport Sirugue a finalement fini dans les cartons, mais l’idée d’une fusion des prestations sociales a refait surface avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017. Ce dernier défendait l’idée d’un versement social unique (VSU) ou d’un revenu universel d’activité (RUA), et plusieurs rapports avaient été commandés pour imaginer le dispositif.

 
La philosophie était néanmoins bien différente de Sirugue. Il était surtout question de « simplifier le système » des prestations sociales, de « le rendre plus efficace, plus lisible et plus juste ». Bref, une approche qui ressemblait assez à ce qu’imagine Michel Barnier aujourd’hui.

Le problème, c’est qu’une fusion des prestations sociales comporte des risques pour les bénéficiaires. « Les bases de calcul des ressources et les règles d’attribution des aides ne sont pas les mêmes d’une allocation à l’autre, reprend Timothée Duverger. Or, si vous fusionnez, vous harmonisez les modalités. » Et cette harmonisation, si elle ne s’accompagne pas de la volonté d’aligner vers le haut les allocations, pourrait porter préjudice à certains bénéficiaires.

« Les règles d’attribution des aides ne sont pas les mêmes d’une allocation à l’autre. Or si vous fusionnez, vous harmonisez les modalités » – Timothée Duverger

Des dommages auraient lieu si, par exemple, les personnes qui touchent aujourd’hui l’allocation de solidarité spécifique (ASS)2 basculaient vers une allocation sociale unique aux couleurs du RSA. Il y a quelques mois, Gabriel Attal avait annoncé la suppression de l’ASS, avant de rétropédaler. Or, une telle décision aurait appauvri de nombreux précaires sans emploi (seniors, ouvriers, etc.), comme alertait l’économiste Michaël Zemmour dans nos colonnes.

Michel Barnier ne dit pas sur quelles bases l’allocation sociale unique s’appuierait. Mais de nombreux paramètres créent potentiellement un appauvrissement des bénéficiaires, avertit Anne Eydoux, économiste au Cnam-CEET : « Est-ce que les périodes durant lesquelles les individus bénéficient de cette allocation seraient prises en compte pour la retraite ? » Aujourd’hui, les allocataires de l’ASS valident par exemple des trimestres pour la retraite, mais pour le RSA, ce n’est pas le cas. Qu’en serait-il pour une ASU ?

« Et quelles seront les conditions retenues concernant la conjugalité ? interroge Anne Eydoux. Là aussi, les modalités diffèrent selon les aides aujourd’hui. Il ne faudrait pas que des femmes en couple pâtissent de la fusion des prestations sociales… »

Pour les personnes qui vivent en couple, l’éligibilité à l’ASS est soumise à un plafond de ressources plus élevé que le seuil du RSA. Dans une ASU qui serait alignée sur les règles du RSA, une femme pourrait perdre des droits sociaux si le salaire de son conjoint place le revenu du foyer au-dessus du seuil.

Des moyens compensatoires

De manière à compenser les pertes que subiraient certains bénéficiaires avec une allocation sociale unique, le gouvernement devrait y accorder des moyens. C’est ce que recommandait Christophe Sirugue dans son rapport.

« Les coûts plus importants que [la couverture socle commune] implique en termes budgétaire et administratif semblent pleinement justifiés, dans la mesure où ils constituent un investissement de long terme. Il est des dépenses que la collectivité peut s’honorer d’assumer », écrivait le député.

« A budget constant en revanche, il y aurait beaucoup de perdants », prévient Timothée Duverger. C’est d’ailleurs ce que montrait une étude de France stratégie en 2018, qui n’a jamais été rendue publique mais que Le Monde s’était procurée. A « enveloppe budgétaire constante », la fusion des prestations sociales3aurait entraîné une baisse de ressources pour 3,55 millions de ménages, indiquait le journal.

Mais à l’heure des restrictions budgétaires, on a du mal à croire que le gouvernement actuel envisagerait d’en tirer des leçons et accepterait d’augmenter les ressources pour mettre en place de manière juste cette ASU.

Symbole

A défaut d’être bénéfique pour les individus, l’allocation sociale unique de Michel Barnier permettrait d’envoyer un signal politique bien précis : celui de stigmatiser les bénéficiaires des transferts sociaux.

« En mêlant des allocations chômage d’un côté, qui constituent un droit pour lequel les actifs cotisent, et de l’autre côté des prestations, qui relèvent d’une logique de solidarité nationale, le gouvernement fusionnerait deux logiques complètement différentes », pointe ainsi Timothée Duverger.

On peut aussi aisément imaginer que focaliser toute l’attention sur l’ASU serait un moyen d’intensifier les contrôles, contreparties et sanctions autour cette allocation. De quoi accentuer le non-recours aux aides sociales, car les études montrent que la sanction et le contrôle sont loin de mener à plus d’efficacité, mais peuvent au contraire décourager les bénéficiaires potentiels.

Bref, on a du mal à ne pas voir dans la déclaration de Michel Barnier, un pas de plus vers la politique de workfare déjà bien enclenchée par les précédents gouvernements.

 


16/10/2024
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