La réforme des retraites secoue les directions des ressources humaines

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Dans les entreprises, le report de l’âge légal du départ à la retraite chamboule les salariés seniors mais aussi les services de ressources humaines, qui redoutent des coûts supplémentaires et qui vont devoir aménager de nouvelles logiques de travail.

Par Chloé Rabs

 Depuis la présentation de la réforme de retraites le 10 janvier dernier, les téléphones des cabinets de conseil en ressources humaines ne cessent de sonner. En plus de bouleverser les plans des seniors qui décomptaient déjà leurs jours de travail restants, le recul de l’âge légal de départ à la retraite percute aussi ceux des entreprises confrontées à un nouveau défi de taille en matière de ressources humaines.

« Pour les entreprises, un départ se prépare un voire deux ans à lavance afin de prévoir le renouvellement de leurs compétences et de leur personnel », détaille Marina Rouxel, responsable transition emploi-retraite au sein du cabinet de conseil Mercer.

Ainsi, reculer progressivement l’âge légal de départ à 64 ans d’ici à 2030, à hauteur de trois mois par an dès le 1er septembre 2023 pour les générations nées au deuxième semestre 1961, risque d’avoir des conséquences en cascade sur les services et les embauches. Selon une enquête menée par Mercer, l’anticipation des départs en retraite est la préoccupation majeure des entreprises dans la gestion de leur pyramide des âges (52 %), devant la transmission des savoirs (22 %) et la gestion intergénérationnelle (17 %).

Les entreprises se pressent alors pour demander des audits d’impact de la réforme pour les salariés. Le but, avoir des réponses à communiquer aux employés qui avaient déjà leur date de départ en tête. Une nécessité d’autant plus importante que les seniors restent mal informés sur le sujet. Selon les données de la Drees, le service statistique des ministères sociaux, seuls 42 % des répondants fournissent des informations sur la retraite à leurs salariés.

« Le flou associé à la réforme crée de linquiétude des deux côtés et les équipes de ressources humaines doivent sinformer pour être capables de répondre clairement aux questions de leurs salariés et de se redonner de la visibilité en termes de recrutement », pointe Philippe Vivien, directeur général du cabinet de conseil en relations humaines Alixio.

Des coûts supplémentaires pour les entreprises

Sur cet aspect, la réforme pose ainsi quelques questionnements, mais pas de quoi affoler les responsables des ressources humaines, assure Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. « On nest pas inquiets. On sadaptera comme nous le faisons toujours. » Selon Marina Rouxel, les inquiétudes se portent plutôt sur « la perspective de conserver plus longtemps des populations qui pèsent dans la masse salariale et qui sont déjà fatiguées ». Et c’est bien là que le bât blesse.

Philippe Laurent, maire de Sceaux et porte-parole de la Coordination des employeurs publics territoriaux, met ainsi en garde contre les coûts cachés de la réforme et ses effets induits sur les budgets. Avec 75 % d’agents de catégorie C – qui occupent dans l’ensemble les métiers plus pénibles – les collectivités locales s’attendent à une hausse de l’absentéisme, des arrêts maladie, de l’incapacité et de l’invalidité de leur personnel en fin de carrière.

Déjà, après le passage de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans en 2010, le taux d’absentéisme avait bondi autant dans le privé que dans le public. Selon une enquête réalisée tous les ans par la société Sofaxis, celui-ci est passé, dans le public, de 8,19 % en 2010, à 8,8 % en 2014, pour s’établir à 9,6 % en 2021. Dans les entreprises, il est passé de 4 % en 2010 à 5,62 % en 2020, selon l’Observatoire de l’absentéisme.

Des absences qui ne sont pas sans conséquences. Selon une autre étude de Sofaxis, la facture de l’absence d’un agent de plus de 55 ans s’établit à 62 euros par jour en moyenne, contre 48 euros pour son collègue de moins de 30 ans. « Concrètement, on va devoir garder des agents qui ne sont plus vraiment en état de travailler et le coût va se reporter directement sur les collectivités via un transfert de couverture assurantielle des systèmes de retraite vers ce qui relève de lassurance statutaire et de la prévoyance », alerte le maire.

Avec davantage de salariés vieillissants dans leurs équipes, susceptibles de s’arrêter plus souvent, les DRH s’attendent à une hausse des cotisations de leurs contrats collectifs santé. Selon le baromètre Malakoff Humanis, en 2022, 64 % des entreprises ont connu au moins un arrêt long, 97 jours en moyenne, dans les douze derniers mois, contre 60 % en 2020. « Cet allongement est en partie lié au vieillissement de la population active », explique le groupe de protection sociale, qui pointe que 17 % des arrêts qui sont prescrits aux 50-64 ans sont des arrêts longs, contre 14 % en moyenne. La probabilité de décès est naturellement plus forte chez des salariés âgés, ce qui suppose de verser une rente au conjoint survivant. Le cabinet Mercer estime d’ores et déjà à 2,25 % la hausse des tarifs des contrats d’assurance santé et à 4,61 % ceux des contrats de prévoyance.

Aménager la fin de carrière

Pour éviter ces surcoûts, l’impact majeur de la réforme sera d’obliger les entreprises à aménager les postes de travail pour les rendre moins pénibles. « On ne décide pas des réformes mais on peut mettre en place tout un écosystème dans nos organisations pour faciliter la prise en compte de l’âge dans l’organisation du travail, résume ainsi Laurence Breton-Kueny. On va mettre l’accent encore plus sur nos politiques santé qualité de vie au travail. » Ce qui passe principalement par de la prévention mais aussi des mesures concrètes comme le retour des bureaux individuels, moins bruyants que les open spaces.

Pour Thierry Legrand-Browaëys, DRH dans l’industrie du câble et auteur de Réformer les retraites, une crispation française, cette réforme va également contraindre les entreprises à mettre en place de nouvelles logiques dans la gestion des carrières des seniors. « On va devoir trouver les moyens de confier aux seniors des postes moins difficiles ou à moindre niveau de responsabilité. Ce sont déjà des choses qui se font au cas par cas, mais qu’on devra développer. » Selon les chiffres de la Dares, le taux d’emploi des 60-64 ans ne s’élevait qu’à 35 % en 2022.

Anticipant la réforme, certaines entreprises ont d’ores et déjà prévu un système d’accompagnement des salariés sur la durée de décalage de la date de départ en retraite. Compte épargne-temps, temps partiel aidé, cessation anticipée d’activité… « Les entreprises disposent d’une multitude de solutions pour accompagner leurs salariés dans la transition vers la retraite », détaille Marie Bouny, codirectrice de la stratégie et de la performance sociale chez LHH.

Seuls 2 % des seniors bénéficient de la retraite progressive

Schneider Electric propose par exemple à ses salariés qui souhaitent partir avant leur date de retraite à taux plein d’utiliser leur compte épargne-temps, de bénéficier de leur indemnité de départ à la retraite en temps, plutôt qu’en argent. Le groupe a mis en place un dispositif de transports des compétences qui permet aux seniors de travailler à 80 %, rémunéré à 90 %, détaille Corinne Derbœuf, directrice diversité. « Certains partent également en retraite progressive, mais ça reste vraiment une minorité. Cest un dispositif intéressant mais qui mériterait d’être simplifié. »

Créée en 1998, la retraite progressive permet aux salariés qui ont cotisé au moins 150 trimestres, de réduire leur temps d’activité, deux ans avant l’âge de départ légal en retraite. Le salarié peut choisir de travailler entre 40 % et 80 % d’un temps plein, la demande est faite chaque année, et la personne peut revenir au bout d’un an à temps complet. Financièrement, le manque à gagner en salaire est, en grande partie, comblé par une partie de la pension de retraite. Contrairement au cumul emploi-retraite, le salarié continue à cotiser pour pouvoir faire valoir ses droits au terme de la durée de cotisation. Un dispositif intéressant pour les seniors qui souhaitent partir en douceur mais qui reste très peu utilisé. En 2022, à peine 2 % des retraités en bénéficiaient, souvent restreints dans leur élan par les employeurs qui peuvent le refuser.

Pour augmenter le nombre de personnes concernées, le gouvernement souhaite élargir son accès aux fonctionnaires et aux travailleurs indépendants, mais aussi le faciliter en inversant la charge de la preuve au bénéfice du salarié. « Une demande de passage à temps partiel pour accéder à la retraite progressive sera autorisée sauf réponse contraire de l’employeur justifiant de l’incompatibilité avec l’activité économique », indique le dossier de presse de la réforme.

6,9 % des 60-64 ans au chômage

Pour autant, la mesure pourrait fortement perturber l’organisation des entreprisessoutient Laurence Breton-Kueny.

« Pour nous, ce dispositif pose des problèmes de projectionMême si le salarié ne peut partir en retraite progressive que deux ans avant l’âge légal de retraite, cela ne veut pas dire qu’il ne va pas rester plus longtemps, et, en France, la date de mise à la retraite d’office est fixée à 70 ans. Alors si plusieurs salariés modifient leur temps de travail tous les ans, ça devient extrêmement compliqué de gérer des effectifs. » 

Un problème d’autant plus accru que les salariés déjà engagés dans une retraite progressive vont certainement devoir travailler plus si la réforme entre en application à l’été 2023.

Encore faut-il qu’ils puissent rester en poste. Selon les derniers chiffres de l’Insee, le taux de chômage des 60-64 ans s’établissait à 6,9 % en décembre 2021, tandis qu’à la même période, 49 % des 55-64 ans étaient inactifs, selon la Dares. Ainsi, le cœur de sujet sera surtout de trouver des solutions entre les salariés et les entreprises pour éviter que le report de l’âge légal de départ à la retraite ne vienne simplement creuser le taux de chômage ou d’inactivité des plus âgés.

Toujours est-il qu’à court terme, ces chiffres pourraient bien augmenter, pointe Marina Rouxel : 

« Pour les salariés qui bénéficient dun dispositif de fin de carrière de type préretraite, si les accords prévoient de les garder jusqu’à leur date de taux plein, alors les entreprises vont devoir maintenir leur allocation de trois mois à deux ans de plus, même sils ne travaillent pas. En revanche, si les accords ne le prévoient pas, alors ils seront au chômage. »

Pour inverser la tendance et gagner ce pari, ce sont principalement les plus petites entreprises, bien moins outillées, qui vont devoir se relever les manches. « Les RH ont réellement la main sur la réussite de cette réforme, signale Marie Bouny. Nos clients sont des entreprises en capacité de faire appel à du conseil et de développer des outils. Mais quand on pense à toutes les PME qui nont pas ces moyens, ça va être compliqué pour elles. Les branches ont donc un rôle primordial à jouer pour aiguiller les plus petites structures et diffuser les bonnes pratiques permettant de favoriser lemploi des seniors. »

Source : https://www.alternatives-economiques.fr/reforme-retraites-secoue-directions-ressources-humaines/00105981

 



22/02/2023
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