Fin des emplois aidés : ce que le gouvernement demande aux préfets
Dans un courrier consulté par «Libération», le ministère du Travail demande aux préfets de «stopper» les emplois aidés à destination du secteur non-marchand. L'Education nationale bénéficie de près de la moitié des 110 000 contrats encore disponibles.
Fin des emplois aidés : ce que le gouvernement demande aux préfets
On ferme les vannes. Le gouvernement promettait un coup de frein sur les emplois aidés au second semestre, le ministère du Travail a tranché. Dans un mail que Libération s’est procuré, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle – qui dépend de la rue de Grenelle – demande aux préfets d’en finir pour cette année avec les contrats aidés à destination des entreprises et de restreindre fermement ceux réservés à l’Etat, les collectivités locales et certaines associations. Pour les contrats uniques d’insertion (CIE) du secteur marchand, il est ainsi «demandé de stopper les prescriptions». Pour les contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE), secteur non-marchand, «les priorités arrêtées portent strictement sur l’outre-mer, l’Education nationale, le secteur sanitaire et social».
Ce document confirme ainsi les pistes lancées par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, devant l’Assemblée nationale le 9 août, et des informations des Echos. Ce qui ne va pas rassurer associations ou petites entreprises qui pouvaient jusqu’ici compter sur ces emplois subventionnés pour embaucher une personne en difficulté d’insertion professionnelle et vont devoir, pour beaucoup d’entre elles, s’en séparer.
Ainsi, seuls les emplois d’avenir en cours de renouvellement «pourront être assurés pour permettre la poursuite de parcours déjà engagés». Pour le reste – soit le gros des emplois aidés – on est très loin de la «sorti[e] en sifflet pour éviter un choc brutal pour ceux qui en bénéficient», comme l’avait promis le ministre de l’Intérieur et proche du chef de l’Etat, Gérard Collomb, mercredi, dans une interview au Figaro.
L’Education privilégiée
Dans le détail, l’arbitrage du gouvernement, «d’application immédiate», offre la part belle à l’Education nationale qui bénéficie de près de la moitié des 110 000 contrats aidés encore disponible au budget 2017. Son «enveloppe» allouée afin d’assurer la rentrée scolaire et, précise le ministère du Travail, «assurer l’accompagnement des enfants handicapés», «est fixé[e] à 50 000 contrats» pour le second semestre. C’est toujours 20 000 de moins que ce qui avait été distribué au second semestre 2016 par le précédent gouvernement. 8 568 postes iront aux établissements d’Ile-de-France, 5 573 en Auvergne-Rhône-Alpes, 5 376 pour les Hauts-de-France, 5 433 en région Occitanie ou encore 3 673 pour la région Paca. Il y avait urgence à confirmer certains contrats indispensables pour les établissements scolaires avant la rentrée de septembre : plusieurs communes de La Réunion ont déjà reporté d’une semaine le retour des élèves en classe pour cause, justement, de manque de personnel financé grâce à ces emplois aidés.
Plus de contrats pour les entreprises
«Au-delà» de la priorité affichée sur l’Education, les CAE «doivent être limités et soutenir exclusivement des renouvellements de contrats à destination de publics prioritaires et associations ayant démontré leur contribution à l’intérêt général, notamment dans le champ de l’urgence sociale ou sanitaire», détaille ce même courrier de la rue de Grenelle envoyé aux préfets en attendant une circulaire définitive. Les «engagements» pris avec les conseils départementaux seront eux «honorés», «de même que les recrutements d’adjoints de sécurité», ajoute le document. En revanche, plus aucun contrat aidé à destination des entreprises ne sera donc accepté. S’il restait encore quelques crédits pour financer ces CIE, ils devront être «redéployé[s]» sur l’enveloppe des CAE. Les associations périscolaires ou de quartiers pourraient également pâtir de cette fermeture de robinet si leur action n’est pas jugée «urgente» sur le plan «sanitaire» ou «social».
Le ministère du Travail insiste par ailleurs pour que les personnes concernées par la fin de leurs contrats bénéficient désormais d’autres dispositifs d’insertion professionnelle, comme l’apprentissage pour les plus jeunes. Accusant le précédent gouvernement d’avoir consommé en six mois les deux tiers des crédits destinés à financer 280 000 emplois aidés en 2017, l’exécutif avait prévenu mi-juillet qu’il allait donner un sérieux coup de frein au second semestre pour privilégier, à terme, la formation. Une rallonge de 250 millions d’euros avait tout de même été accordée par Bercy, pour financer notamment 13 000 contrats supplémentaires. Le coup de frein est bien là : au risque d’en éjecter certains dans les files d’attente de Pôle emploi.
Que prévoit l’exécutif pour 2018 ?
De fermer tranquillement les vannes pour faire des économies et mettre de l’argent sur la formation. «La question est d’en sortir en sifflet pour éviter un choc brutal pour ceux qui en bénéficient», a ainsi expliqué Gérard Collomb ce mercredi dans le Figaro. Le ministre de l’Intérieur est dans la ligne de toutes les interventions publiques du gouvernement depuis cet été pour préparer à une baisse drastique des emplois aidés en 2018.
«Nous devons repenser […] notre politique de l’emploi, avait martelé le Premier ministre, Edouard Philippe, au Parisien début août. Au lieu de promettre des emplois aidés au moment des campagnes électorales, il faut mettre en œuvre une vraie politique de formation, car les emplois aidés ne débouchent malheureusement pas sur des emplois stables.» Devant la représentation nationale, Pénicaud avait, elle, invoqué plusieurs études pour souligner que
«1) les contrats aidés sont extrêmement coûteux pour la nation,
2) ils ne sont pas efficaces dans la lutte contre le chômage et
3) ils ne sont pas un tremplin pour l’insertion professionnelle».
La ministre avait ajouté vouloir davantage «investir dans la formation, dans le développement des compétences», misant sur les fonds du plan d’investissement annoncé par le gouvernement pour cet automne. De quoi faire plaisir à une Cour des comptes qui ne cesse de critiquer le «coût élevé pour les finances publiques» et la «faible efficacité pour le retour à l’emploi durable» des contrats aidés dans le secteur non-marchand (collectivités, Etat, associations…).
De son côté, la Dares, le service d’études et statistiques du ministère du Travail, estime que «l’utilisation des contrats aidés, notamment dans le secteur non marchand, peut soutenir l’emploi à court terme». Et si, dans une étude publiée en mars, elle mettait en garde contre les «effets d’aubaine» pour les entreprises qui usent de ce type de contrat, et plaidait ainsi pour «un ciblage étroit des bénéficiaires» pour en «réduire les effets», elle ne tirait pas de conclusion définitive sur l’insertion professionnelle à moyen terme des personnes bénéficiant de ces contrats : «Il nous manque un suivi […] sur une période plus longue pour s’assurer de leur insertion à l’issue du contrat.» Tablant sur une meilleure situation de l’emploi pour 2018 – selon des données provisoires de l’Insee l’emploi privé a progressé de 91 700 postes au deuxième trimestre – et en quête d’économies, l’exécutif a choisi de privilégier l’avis de la Cour des comptes.