Égalité salariale: le logiciel miracle promis par Pénicaud patine
Égalité salariale: le logiciel miracle promis par Pénicaud patine
La ministre du Travail Muriel Pénicaud a promis la mise en place d'un logiciel capable d'identifier les écarts de salaire injustifiés entre les hommes et les femmes dès janvier 2019.
Le gouvernement a promis de réduire les écarts de salaire femme-homme avec un outil de mesure obligatoire. Mais ça coince.
Le 7 mars dernier, à la veille de la journée internationale pour les droits des femmes, le gouvernement avait lancé une promesse ambitieuse : réduire les écarts de salaire inexpliqués entre les salariées et leurs collègues masculins, qui s'élèvent en moyenne à 9 %. Pour y remédier, la rue de Grenelle avait promis de rendre obligatoire dans les entreprises, l'installation d'un logiciel, couplé à celui dédié à la paie, capable de traquer les différences de rémunération.
Une fois les écarts identifiés, les entreprises devront ensuite "consacrer une enveloppe de rattrapage dans les trois ans suivants (d'ici 2022 a priori), sous peine de sanctions financières", promet le ministère. Un arsenal musclé qui s'appuie sur une nouvelle philosophie : l'obligation de résultats et non de moyens.
Une fausse baguette magique?
La finalisation de cet outil révolutionnaire est renvoyée à la concertation sur l'égalité professionnelle entre femmes et hommes menée avec les partenaires sociaux. À en croire le gouvernement, très confiant dans son projet, la mise en musique allait être simple. Deux mois et six réunions plus tard, les choses ont avancé, mais semblent compliquées.
Que s'est-il donc passé pour que le plan se complique ainsi ? "Le gouvernement s'est rendu compte que, malgré des intentions louables, l'exécution n'était pas si simple", commente de façon lapidaire Dominique Marchal, de la CFDT. Pour Armelle Carminati, du Medef, les discussions ont permis de réaliser que "l'idée d'un giga outil unique avait tout de la fausse baguette magique". "C'est évident plus compliqué qu'annoncé, renchérit Geneviève Bel de la CPME. Si on ne rentre pas assez dans le détail, ça ne servira à rien et si on y va trop, on risque de se perdre."
Tout l'enjeu tient aux choix des critères retenus pour mesurer ces écarts. Les syndicats proposent de retenir l'âge, le diplôme, le sexe, la catégorie socio-professionnelle et le temps de travail. Ils préconisent d'ajouter le diplôme dans la déclaration sociale nominative (DSN), remplie obligatoirement par les employeurs. Un simple ajout, qui, assurent-ils, ne nécessite pas un effort immense de la part des entreprises. "Il s'agit d'un critère objectif, simple, qui sera ensuite utile pour effectuer des suivis de cohortes et évaluer les discriminations de carrières dans chaque entreprise", soulignent les syndicats.
Un outil unique ou adaptable à chaque entreprise ?
Côté patronal, c'est peu dire que cette proposition ne fait pas l'unanimité. "L'outil unique voulu par les organisations syndicales est une sorte d'énorme base de données qui cracherait de la statistique à laquelle on pourrait faire dire beaucoup de choses, assure Armelle Carminati. Et ce serait encore insuffisant pour mesurer tous les écarts qui existent entre femmes et hommes."
D'autres craignent la lourdeur d'une future obligation. "Est-ce possible dans toutes les entreprises ? Y aura-t-il des coûts supplémentaires? Les éditeurs de logiciel sont-ils en capacité de répondre à cette demande?", s'interroge un membre du patronat.
Côté syndical on interprète différemment cette prudence. "Le Medef et la CPME mettent en avant que la liberté de payer ses salariés comme on l'entend peut relever de la liberté d'entreprendre", commente Dominique Marchal de la CFDT.
"Le patronat veut surtout un outil adaptable entreprise par entreprise et non imposé à toutes, estime Sophie Binet de la CGT. En Suisse, pays précurseur en la matière, un logiciel existe mais laisse le choix des critères à l'appréciation du patronat, ce qui change complètement la donne." De là à penser qu'ils n'en veulent tout simplement pas...
En place dès janvier 2019
Quoi qu'il en soit, le futur logiciel - ou la DSN relookée - doit entrer en vigueur le 1er janvier 2019 dans les entreprises de plus de 250 salariés et un an plus tard dans celles de plus de 50 salariés. "Nous tiendrons ce délai", a d'ores et déjà promis Muriel Pénicaud. "Si la volonté politique demeure, ils le feront, commente Sophie Binet. Après tout, ils s'y sont engagés."
Une mission a été confiée à Sylvie Leyre, DRH de Schneider Electric et aux services d'études statistiques de la Dares afin de soumettre des propositions et des simulations concrètes aux syndicats et au patronat. Le gouvernement envisage plusieurs pistes avec un seul objectif : réaliser un outil "fiable statistiquement" qui ne soit pas "une usine à gaz".
Les partenaires sociaux sauront quels critères et quelles options sont retenus. "Il faudra faire très attention aux choix, prévient Dominique Marchal. J'espère notamment que l'outil ne sera pas pensé uniquement pour les plus grosses entreprises. Mais je ne me fais pas d'illusion sur le fait que, toute façon, nous n'aurons pas notre mot à dire sur la décision finale." Sur ce point, au moins, il n'y a pas de suspens...
En promettant de régler tous les écarts inexpliqués dans les cinq ans à venir, le gouvernement brandit en tout cas une promesse alléchante. Parviendra-t-il à la tenir ? "J'espère surtout qu'on ne s'arrêtera pas à ces 9%, confie Dominique Marchal. Il faudra engager une réflexion plus globale sur les enjeux de carrière, la mixité des métiers, le temps de travail, qui font le gros des inégalités salariales dans les entreprises et qui sont de l'ordre de 25%. Or sur tout ça, il n'y a rien."
Source : lentreprise.lexpress.fr