Abroger la réforme des retraites, une mission devenue impossible !

 

 

Proposition phare du NFP, l’abrogation de la réforme des retraites semble hors d’atteinte après la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. Même si la gauche arrive à Matignon, revenir sur le texte paraît très difficile sans majorité.

La députée Renaissance Yaël Braun-Pivet a été réélue au perchoir de l'Assemblée nationale grâce à une alliance avec les LR, le 18 juillet 2024. Emmanuel Macron ayant déclaré qu'il nommerait un ou une premier ministre en fonction des forces en présence à l'Assemblée, un gouvernement de droite pourrait être nommé et la perspective d'une abrogation de la réforme des retraites s'éloignerait à grands pas.

Tout au long de la campagne de ces législatives anticipées, la mesure a été un marqueur fort : « Nous abrogerons la réforme des retraites dans les quinze jours après notre arrivée au pouvoir », avait promis le Nouveau Front populaire (NFP).

En un temps record, la gauche unie avait même réussi à boucler le financement d’un retour à 62 ans, comme nous l’expliquions dans cet article.

Mais ce jeudi 18 juillet, l’hypothèse de l’abrogation de la réforme des retraites ne semble plus tenir qu’à un fil : la macroniste et présidente sortante de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a été réélue au perchoir avec 220 voix grâce à une alliance avec les LR, tandis que le candidat de l’union de la gauche, André Chassaigne est arrivé deuxième, avec 207 voix. 

Un moment décisif pour la composition du futur gouvernement. L’Elysée, peu après les résultats du second des législatives, avait fait savoir que « conformément à la tradition républicaine, le président de la République attendra la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires ».

Alors que rien n’oblige le chef de l’Etat à choisir un ou une première ministre issue du NFP, arrivé en tête du second tour des législatives, un gouvernement de droite pourrait se dessiner.

Au NFP, certains continuent malgré tout à y croire. Interrogés par Le Monde, Alexis Corbière assure par exemple que « ce n’est pas fichu », Marine Tondelier estime que « la guerre pour Matignon n’est pas perdue », Sandrine Rousseau plaide encore pour « proposer vite un nom pour Matignon ».

Désormais, le choix de la ou du futur·e Premier·e ministre est déterminant. L’union de la gauche doit encore s’entendre pour proposer un·e candidat·e. Deux noms sont pour l’heure évoqués : Huguette Bello, présidente du conseil régional de La Réunion d’une part, Laurence Tubiana, économiste, diplomate et architecte de l’accord de Paris sur le climat d’autre part.

Mais une fois cet obstacle de taille surmonté, un ou une Premier·e ministre de gauche devrait encore affronter nombre d’écueils pour revenir sur l’âge de départ à 64 ans.

1/ Une abrogation impossible par décrets

Dans son programme, le Nouveau Front populaire propose d’abroger la réforme des retraites par décret. Bien que ce point ait suscité de nombreux débats parmi les constitutionnalistes ces dernières semaines, emprunter cette voie apparaît inenvisageable.

Dans la Constitution, on retrouve en effet deux domaines de compétences : ce qui relève du Parlement, donc de la loi et ce qui relève du gouvernement, c’est-à-dire du règlement.

La réforme des retraites étant passée par une loi de financement de la Sécurité sociale rectificative (LFSSR), celle-ci tombe dans le champ de compétence du Parlement. Or « ce qui a été fait par la loi, ne peut être défait que par une loi », explique Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public.

« Un nouveau décret ne pourrait pas remettre en cause le décret d’application d’une loi, c’est-à-dire les modalités qui font qu’une loi est applicable. Rendre la loi inapplicable par un nouveau décret serait illégal », complète Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.

Quelques marges de manœuvre seraient possibles : certains points marginaux de la réforme pourraient être modifiés par décret. Et il serait possible d’agir un peu sur le calendrier d’application. Le retarder, mais dans une moindre mesure.

« Car on ne peut pas suspendre une loi par décret ou refuser d’édicter les règlements d’exécution », indique Geoffroy Herzog, maître de conférences en droit public.

Le Premier ministre a une obligation juridique d’exécuter les lois dans un délai raisonnable. S’il ne le respecte pas, le Conseil d’Etat peut prononcer une injonction à exécuter la loi.

En somme, la voie des décrets ne permettrait pas de revenir sur la retraite à 64 ans.

« Le dispositif, dans son équilibre global, étant assis sur la loi, il ne pourra être totalement abrogé et l’on pourra revenir à zéro avec un nouvel âge de départ, un âge pivot, etc. qu’à partir du moment où une nouvelle loi sera prise, note Anne-Charlène Bezzina. Il n’y a pas de suspens sur cette question. »

2/ Le vote d’une nouvelle loi, compliqué sans majorité

Revenir sur la réforme devrait donc passer par une loi, qu’il s’agisse d’une loi générale ou d’une loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Mais pour la voter, encore faut-il disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale.

« D’un point de vue strictement arithmétique, au vu de la composition de l’Assemblée, abroger la réforme est tout bonnement impossible aujourd’hui » – Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas

Or, comme l’a encore rappelé l’élection de la présidente de la chambre basse ce 18 juillet, aucun groupe n’y a la majorité. Le Nouveau Front populaire compte un peu plus de 180 députés, cela ne suffirait pas à voter un nouveau texte.

Le soutien d’élus d’autres bords politiques serait nécessaire. Mais comme le rappelle Benjamin Morel, « LR et Renaissance étaient les premiers à soutenir l’allongement de l’âge de départ. Un scénario dans lequel les députés de droite se disent tout à coup que la réforme des retraites est une bonne idée paraît peu probable ».

Ce qui fait dire au constitutionnaliste que « d’un point de vue strictement arithmétique, au vu de la composition de l’Assemblée, abroger la réforme est tout bonnement impossible aujourd’hui ».

3/ Une réaction du Conseil constitutionnel ? Peu crédible

Si ce n’est pas à l’Assemblée, l’abrogation de la réforme pourrait se faire via le Conseil constitutionnel. Ce dernier a en effet le pouvoir de censurer une loi qui est contraire à la Constitution et il peut « délégaliser » un élément qui aurait été « faussement pris » dans le domaine de la loi.

Concrètement, le gouvernement pourrait demander aux sages de la rue de Montpensier de trancher pour « déclasser » la disposition de l’âge légal de départ : l’exécutif jugerait qu’elle aurait été placée par erreur dans la LFSSR et qu’elle aurait dû être prise par acte administratif, donc par décret.

« Mais j’y crois très peu, confie Anne-Charlène Bezzina. Car cette disposition de l’âge, au vu de la Constitution, ne m’apparaît pas "faussement légale". »

Geoffroy Herzog partage les réserves de sa consœur juriste :

« Cela dépend toujours de l’interprétation du Conseil constitutionnel, mais au vu de ses récentes décisions, il est quasiment sûr qu’il ne reviendrait pas sur cette disposition de l’âge. »

4/ L’impopulaire 49.3

Resterait à un gouvernement NFP le passage en force : l’usage de l’article 49.3. C’est-à-dire faire adopter un texte, sans vote par l’Assemblée nationale, comme l’a fait à de multiples reprises le gouvernement macroniste.

Interrogé par France Info, le chef de file du Parti socialiste, Olivier Faure, n’a pas exclu cette hypothèse :

« 80 % des Français étaient hostiles à cette réforme. Je pense que chacun comprendrait que ce qui a été imposé par le 49.3 peut être éventuellement aussi défait par 49.3. »

L’option ne fait pas toutefois pas l’unanimité côté NFP, comme l’illustre la réaction de Sandrine Rousseau, sur BFM TV :

« Le Nouveau Front populaire ne gouvernera pas par 49.3. Nous respecterons l’Assemblée nationale dans sa souveraineté, et dans sa capacité à faire des amendements », a-t-elle assuré.

Légalement, en tout cas, pour une nouvelle loi sur les retraites, « utiliser le 49.3 serait possible, reprend Anne-Charlène Bezzina. Dès lors que l’on est sur un texte financier, ça l’estS’il s’agit d’un texte non financier, on peut aussi y avoir recours mais qu’une seule fois par session, donc il faut bien choisir ».

Cette hypothèse serait malgré tout politiquement risquée pour l’exécutif :

« Il s’exposerait au risque d’une motion de censure de la part de l’opposition. Des Républicains déjà et de Renaissance puisqu’il s’agirait de retoucher à une réforme emblématique du quinquennat Macron », commente Geoffroy Herzog.

Encore faut-il que l’union de la gauche s’accorde pour proposer un·e candidat·e unique pour Matignon et qu’Emmanuel Macron l’accepte. Or, ce dernier a laissé entendre qu’il tiendrait compte des votes pour le perchoir avant de prendre sa décision.

Les macronistes, alliés aux LR, pourtant désavoués dans les urnes, pourraient se retrouver au sein d’un gouvernement. Dans ce cas de figure, nul doute que les retraites ne seront pas la priorité de la droite aux affaires…

Audrey Fisné-Koch - Source : https://www.alternatives-economiques.fr/abroger-reforme-retraites-une-mission-devenue-impossible/00111919



26/07/2024
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